↬「Partie 1 - La danseuse des blés」↫

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Un, deux, trois...

Je glisse mon pied, le pousse vers l'extérieur et donne un coup de pied dans le vide, les bras levés.

Quatre, cinq, six...

Ma jambe s'élève, et avec la plus grand des grâce, cette dernière surplombe ma tête tandis que je serre ma cuisse contre ma poitrine. Une douleur me transperce de toute part, me signalant de rapidement reprendre mes exercices de souplesse.

Six, sept, huit...

Je relâche ma cheville pour qu'elle rejoigne le sol et s'imprègne de la terre et je monte en demi-pointes.

« Eh bien ma petite Gemma, la maladie t'as fait du tort. »

Suite à une déchirure musculaire, je n'avais pas dansé depuis un bon mois, une torture des plus horrible, pour une fille qui ne tient jamais en place. Et voilà que dans le milieu du ballet, mon domaine de prédilection, les enchainements m'épuisent, comme si j'avais pas virevolté depuis un an sans jamais m'arrêter.
Je m'affale sur les fesses, écrasant plusieurs tiges de blé.

Au loin, j'admire l'astre du jour qui disparait peu à peu derrière la praire recouverte d'herbes folles. C'est mon jardin secret principal, mais le blé de ce champ, qui ne sert qu'à décorer les vastes terre qui s'étendent à perte de vue, périra bientôt.

L'été touche à sa fin. La brise de la mi-septembre me chatouille les orteils en se faufilant à travers les plantations, tout comme les tiges dorées s'occupent de mon cou. Cela fait maintenant plus de quinze ans que je danse. Je viens de fêter mes dix neuf ans, et depuis ma plus tendre enfance, je me vois bondir et bouger au rythme de notes de musique que je suis la seule à entendre. J'ai expérimenté tous les clubs de danse des alentours : partout, j'étais la plus douée. Je récoltais récompense sur récompense, jusqu'à ce que ma chambre ne puissent plus toutes les contenir. Puis, vers mes seize ans, j'ai tout arrêté. L'idée que quelqu'un qui ne me comprenait pas me dise quoi faire, ça me rendait folle. Si je dansais, c'était pour moi-même, pas pour une bande d'idiots qui m'acclamait. Si je dansais, ce n'était pas pour recevoir des instructions de pauvres incompétents. Car danser, c'est extérioser ses sentiments. Les autres peuvent-ils concevoir mes sentiments ? Non ? Alors qu'ils se taisent et me laissent tranquille.

Je me relève, époussette ma robe blanche en soie tapissée de brindilles, et court vers une montagne de pierre, qui parait avoir mille ans. Ce vieux batiment, c'est ma maison. Enfin, notre maison, à Maman et à moi. Les visiteurs la surnomment "le labyrinthe", à cause de son dédale de couloirs interminables. Dans un mélange de bois clair et de pierre massive, il y flotte une impresion de douceur naturelle. Une sorte de contraste entre la beauté et l'hostilité de la nature. Certains considèrent cette architecture comme un véritable trésor. Faux, totalement faux ! C'est beaucoup plus ! Un cocon chaud, un nid douillet... Un lieu de ressource et de renouvellement.

C'est pour cette raison que depuis vingt ans, Maman loue les chambres de cette antiquité en tant que "maison d'hôte chaleureuse en communion avec la nature", d'après TripAdvisor. Nous sommes rarements complets, mais nous avons largement le nécessaire pour vivre. De quoi manger, de quoi boire. Que faut-il de plus pour être heureux ? Une passion. Celle de maman, c'est l'entomologie, cette fascination pour les êtres à six pattes. Il ne faut pas rater les moments où elles est cachée dans les hautes herbes, et regarde à la loupe ces petits animaux avec attention, malgré qu'elle ait dépassé la soixantaine.

Avant d'ouvrir la porte, j'attrape un fruit rouge vif sur le pommier du jardin et pénètre dans le couloir.

***

- Gem ! Descends descends s'il te plait ! Il y a de la clientèle !

Je dévale les escaliers grinçants et me présente, légèrement décoiffée, devant un homme tiré aux quatre épingles et un deuxième, beaucoup plus petit, aux cheveux roses et apparemment, victime de la mode.

↬「La danseuse des blés」↫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant