Papillon et jacinthes

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-Depuis quand ai-je cessé de rêver? Je l'ignore...

J'étais dans une forêt, adossé contre un chêne. J'observais les maigres rayons de soleil qui filtraient à travers le feuillage des arbres, quand mon attention fut attirée par les battement d'ailes d'un papillon qui se débattait dans une toile d'araignée, à quelques centimètres au-dessus de ma tête. Je tendit la main et l'attrapai. Sous mes doigts, le frêle insecte continuait à s'agiter.

-Je viens de te sauver la vie, et toi tu cherches à t'enfuir... Non, je te l'interdis. Tu n'iras nulle art, tu seras à jamais pris dans la toile... À jamais.

J'arrachai l'une de ses ailes au papillon, et celui-ci cessa de s'agiter au bout de quelques minutes. Mort.

-Pauvre papillon, tu n'as même pas lutté. Tu aurais pu essayer de te venger. Tu aurais dû prendre ta revanche sur ton bourreau... Je t'ordonne de vivre. Envole-toi. Et venge-toi sur celui qui t'a fait ça!

J'observai pendant encore quelques instants le corps inerte qui reposait au creux de ma main, avant de lui souffler dessus et de le regarder tomber doucement sur le sol.

-Pitoyable...

Puis je me relevai et me mis à marcher dans cette dense forêt.
Au fur et à mesure que mes pas me guidaient à travers les arbres, l'écart entre ces-derniers se faisait de plus en plus important, et les rayonnements du soleil se faisaient de plus en plus brillants.
Après plusieurs heures de marche, je finis par arriver dans un champs plein de jacinthes des bois. Un vent portant une odeur de fleurs vint me soulever les cheveux, et la lumière me réchauffa le visage. L'herbe agitée par la brise me chatouillait les chevilles, tandis que l'odeur de plantes me chatouillait les narines . Je me perdis ensuite dans la contemplation du paysage qui s'offrait à moi. Des champs verdoyants à perte de vue. Ils étaient parsemés de taches de différentes couleurs, provenant des différents pétales qui le recouvrait.
Je m'accroupis dans l'herbe et ramassai une tige où se trouvait plusieurs jacinthes, puis arrachai l'une d'entre-elles et la mis  doucement dans mes cheveux. Ce fut à ce moment là que je m'aperçus que des larmes ruisselaient sur mon visage. Je les essuyai délicatement, puis me mis à fixer la plante que je tenais entre les doigts.

-Depuis quand n'avais-Je plus pleuré? Et pourquoi suis-je devenu si différent de celui que j'étais avant? Si lunatique?

Sans en comprendre la raison, je ne pus m'empêcher de me mettre à rire aux éclats. Alors que mon visage était en encore baigné de larmes, je me laissai tomber sur le sol, les cheveux étalés autour de ma tête. Étrangement satisfait. Je levai ma fleur en l'air et l'observai avec grand intérêt.

-Cette fleur à beau frôler la perfection, elle n'est qu'une maigre compensation... Peut importe la beauté qui m'entoure, cela n'est rien par rapport à la noirceur du monde.

En prononçant ces paroles pour moi-même, je me mis à rire de plus belle.

-L'être humain vit dans l'ignorance... Il ne connaîtra jamais la joie, car la joie de l'Homme ne peut exister qu'au prix d'une souffrance extrême qu'il refuse... Et dire qu'il m'aura fallu tout ce temps pour le comprendre.

Je laissa retomber mon bras dans l'herbe, en même temps que ma fleur.

-Je suis exténué... Fatigué de vivre... Et si je fermai les yeux, ne serait-ce qu'un instant...

Cela faisait longtemps que je n'avais pas rêvé.
Le papillon prit dans la toile n'avait pas d'ailes.
Et ce papillon, c'était moi...

Divagation d'une âme meurtrie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant