Peur

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31 août 1939

Je me réveille aujourd'hui avec une sensation bizarre, j'ai peur. Rien d'inhabituel en sachant le personnage grossier qui dirige l'Allemagne, ce dernier chéri l'idée qu'un beau jour les personnes de mon « espèce » comme il le dit si bien, disparaîtront pour de bon de ce monde. Ma grand-mère aussi vieille soit-elle, pense que nous devrions fuir avant qu'il ne soit pris au sérieux si ce n'est déjà pas le cas.

Mais ce matin, la peur que je ressens est bien réelle. Comme si des soldats allaient débarquer dans ma maison, tuer toute ma famille avant de repartir boire du Schnaps au bar d'en face en commentant leurs exploits heureux.

Mais l'éternel optimisme de ma mère se refuse à l'idée même d'évoquer cette effroyable possibilité. Évidemment,  on ne prononce pas le nom de celui qui risque de nous assassiner dans notre sommeil afin de contribuer à un avenir meilleur pour le monde entier. Un avenir qui bien entendu exclut « la race inférieure » soit dit en passant, la mienne.

Lorsque je descends les escaliers, j'aperçois ma grand-mère confortablement installée dans son habituel vieux fauteuil en cuir. Et comme à son habitude, elle marmonne en polonais quelques injures, observant de son air frustré par la petite fenêtre de la cuisine. C'est une scène qui fait désormais partie de notre routine. En effet, j'imagine qu'elle a tenté en vain de raisonner ma mère à fuir cette région devenu intolérante à notre égard. En une semaine, nous étions passés de citoyens lambdas à des parias de la pire espèce. Rythmant alors notre quotidien de limitations, puis de restrictions jusqu'aux injonctions. 

Personnellement, je regrettais beaucoup les ballades au parc du mercredi après-midi avec ma petite soeur, Naola. En revanche la restriction concernant le libre accès des juifs aux commerces locaux me réjouis au plus grand désarroi de ma mère qui est obligée de parcourir elle-même une dizaine de kilomètres dans une campagne boueuse afin de ravitailler la maison chaque semaine en nourriture.  

Et malgré cette tension électrique qui semble régner en maître dans l'unique pièce à vivre qui fait office de salon et de cuisine à la fois, n'affecte pas vraiment ma mère qui poursuit ses occupations habituelles, c'est-à-dire préparer le repas de ce midi tout en ignorant avec obstination les menaces bien réelles qui pèsent sur notre famille depuis plusieurs semaines déjà. 

Récemment j'ai appris de ma grand-mère que nier l'évidence s'appelait également "le déni", mon petit cerveau de douze ans seulement ne comprend pas encore toute la portée de ce mot et des problèmes qui peuvent en découler si comme elle dit si bien "maman ne se secoue pas bientôt".

Depuis quelques jours, les rumeurs se propagent encore plus vite que le typhus. La vieille boulangère au croisement de la rue Senatorska dit à chacun de ses clients que Hitler se tient devant les portes de la Pologne, alors que le vagabond Russe plus souvent ivre que sobre hurle à qui veut bien l'entendre que les Soviétiques domineront bientôt le monde. 

Et comme si tous avaient perdu la raison, le gouvernement polonais a divisé en de nombreuses garnisons l'armée sur l'ensemble de la frontière, jusqu'à se préparer matériellement au pire alors que rien depuis longtemps n'est annoncé. Enfin il y a le pacte de non-agression du 23 août  entre l'Allemagne et la Russie mais cet événement engage les deux pays dans une bonne voie qui est celle de la paix tant attendue. 

Mais moi je n'ai pas peur des Allemands, nos soldats sont forts et courageux. Ils lutteront avec tout l'acharnement qu'on leur connaît. Mon père dit souvent que lorsqu'on se bat pour des nobles choses, on finit toujours par l'emporter sur ses adversaires aussi cruels soient-ils. 

A l'heure d'aujourd'hui les problèmes que nous avons rencontré restent sans gravité, en commençant par l'expulsion de ma grand-mère ordonnée par un directeur allemand de cette maison de santé. Renvoyant alors toutes les personnes âgées juives chez leurs familles, ou jetées à la rue si elles n'en avaient pas, préférant les laisser mourrir de faim et de manque d'hygiène par simple conviction politique. 

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⏰ Last updated: Feb 06, 2021 ⏰

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Le journal d'un condamnéWhere stories live. Discover now