Je m'appelle Marc, j'ai 40 ans, et j'aime bien me promener sur le port de plaisance. C'est un petit port, à l'origine un port de pécheurs, ou tout le monde se connaît et se salue. Aujourd'hui, il y a aussi des voiliers et des bateaux à moteur. Les bateaux sont rangés dans leur parking par tailles, les petits d'un côté, les gros de l'autre, les bateaux à moteur d'un côté, les voiliers de l'autre. Il ne faut pas mélanger.
Quand il y a beaucoup de vent, on l'entend qui siffle dans les mats, les drisses tapent, les bateaux se dandinent, le port est désert. Mais quand il fait beau, il y a toujours des propriétaires qui bricolent sur leurs bateaux, et des pécheurs qui rafistolent leurs filets.
C'est un beau dimanche de février avec le ciel très bleu, le port calme. Pas de bruit de manutention sur l'aire de stockage, seulement quelques éclats de voix de mamans inquiètes pour leurs enfants. Il y a une légère brise, pas encore du mistral.
Georges possède un petit voilier, 6,5m je crois, en tout cas il est dans le parking des petits. Son voilier est très bien entretenu, j'avais déjà visité l'intérieur, il y avait le nécessaire pour faire du camping sur l'eau : un petit coin cuisine avec un réchaud, une glacière et un évier, deux couchettes. Son bateau s'appelle Sindbad, c'est joli.
J'aime bien Georges, il me dit toujours quelque chose de gentil. Ce Dimanche là, il avait rapproché le bateau du quai, en lâchant un peu la 'pendille' à l'arrière, pour que je puisse monter facilement à bord, aidé par Antoine le maître de port. Quand je fut confortablement installé dans le cockpit, il descendit dans le carré pour faire chauffer de l'eau. Ensuite il me raconta sa passion. Tu sais, me dit-il, un voilier, c'est extrêmement cher, l'achat, la place au port, tout est hors de prix, et je n'ai jamais eu les moyens d'acheter plus gros. Et d'abord, maintenant, pour quoi faire ? J'acquiesçai de la tête.
Je connaissais déjà ses histoires, il me les avait déjà raconté cent fois. Je savais qu'après, il me parlerait de navigation, de Martine, de retour de Corse difficiles, et d'autres choses encore, mais il était passionné et je ne savais pas comment l'arrêter.
En effet il enchaîna : d'après lui, une sortie en mer même d'une demi-journée, est un dépaysement immédiat. Pas besoin de faire des milliers de kilomètres, tu comprends, me confie-t-il, dés qu'on est sorti du port, qu'on a hissé les voiles et coupé le moteur, c'est la liberté. Plus de route, de feux, de bruits de la rue, il n'y a plus que le vent et l'eau. Avec une petite brise, c'est l'idéal, les voiles sont bien gonflées, et le voilier bien calé sur sa route.
Il continua de cette façon, comme je l'avais prévu, à vouloir m'inculquer des rudiments de navigation : Quand on navigue, insista-t-il, on doit constamment surveiller l'horizon, surtout si on croise la route de ferries ou de cargos et s'ils ont de la barbe blanche à l'étrave, (il voulait dire de l'écume), ç'est qu'ils font route et comme ils vont beaucoup plus vite que nous, il faut faire très attention.
Puis le vent n'est jamais régulier, on doit régler les voiles pour bien faire marcher le bateau. Devant mon air interrogateur, il me confia qu'avant on utilisait une bouline, mais que lui ne l'avait jamais connue, maintenant, me dit-il, on règle les voiles avec des écoutes. Je pris un air rassuré.
Si on va de port en port en ne s'éloignant pas trop des côtes, on appelle ça une croisière côtière. Tu sais avant de larguer les amarres, il faut toujours avoir pris connaissance de la météo, en Méditerranée, le temps change très rapidement et le mistral devenir très fort en quelques heures. Si l'on s'éloigne suffisamment des côtes, c'est déjà une aventure, avec de la chance, on peut voir des dauphins, ils jouent en paradant de chaque côté de l'étrave comme une escorte. Ce sont nos amis.
La bouilloire venait de siffler, Georges fit infuser deux sachets de thé avant de continuer. Il enchaîna sur le chapitre de la navigation, la nécessité de se positionner sur la carte marine. Il avait sorti la table de camping, déplié une carte et déposé quelques instruments : un compas à pointes sèche, un compas de relèvement et une règle Cras. Démonstration à l'appui, il me montra comment se positionner sur la carte. Ca, c'est quand tu es à proximité des côtes, me dit-il, mais pour aller en Corse par exemple, il faut entretenir son 'estime', ou savoir faire le point avec un sextant. La nuit avec la lampe torche, on éclaire de temps en temps la girouette, pour voir si le vent n'a pas changé de direction. Maintenant, continua t-il, ils ont tous un GPS, c'est trop facile, d'un seul coup d'œil, tu as ta position, ton cap, ta vitesse, mais ils ne savent plus faire le point et l'électronique peut tomber en panne, alors ils ont deux GPS.