L'indomptable laine

261 11 9
                                    

I/Ophélie

Ophélie se voyait encore devant le grand miroir lustré de sa chambre. Elle se souvenait de la bise d'hiver qui passait au travers des baies endormies et des portes rigides, et qui la faisait grelotter dans sa légère chemise de nuit.

Ophélie avait attendu , dans la nuit, tel le coucou qui lambinait pour chanter , pour passer cette glace de verre chatoyante. Dès lors qu'elle avait entendu les pas de ses parents frémissant la boiserie de l'escalier, elle s'était levée de son lit, sans faire de bruit. Elle ne voulait pas réanimer ses sœurs assoupies, qui sommeillaient dans la pièce d'à côté.

Ophélie avait regardé la psyché, intriguée, comme si elle lui déformait son reflet. Non, ce miroir l'avait reflétée telle qu'elle était. Petite comme une cuillère à café, ronde comme une bouillotte qui siffle, aussi pâle que les cendres de la cheminée étaient sombres..

Ophélie s'était regardée, avait esquissé quelques gestes délicats -prenant garde à la sensibilité du parquet de sa chambre- puis, constatant que rien d'anormal ne se passait, s'était arrêtée.

Ophélie s'était demandée ce que cela faisait de traverser un miroir. Elle en avait tant entendu parler de par son grand-oncle. C'était comme, d'après ses propos, plonger son pied dans l'eau du bain sans jamais toucher le fond de la bassine. Elle voulait plus que tout connaître cette sensation. Elle voulait traverser ce miroir qui ne cessait de la dévisageait.

Ophélie se souvint ensuite qu'elle s'était avancée mollement, encore un peu endormie. Elle avait pu sentir son cœur battre encore plus fort que les tambours d'une fanfare. Ses petites mains grassouillettes avaient tremblées d'exaltation. Elle se rappela d'avoir tout d'abord passé sa paumelle blanche au-dessus de la surface lisse de la glace, puis engouffré son bras et ensuite sa bouille jusqu'à ce que son buste en fasse de même. Elle imagina alors le reflet de la pièce à vivre à travers ses prunelles closes, un étage au-dessous de là où elle se trouvait.

Et ce fut à ce moment précis qu'Ophélie s'était sentie comme coincée entre le miroir de sa chambre et celui du salon. Elle n'arrivait plus à bouger, et ne pouvait plus prononcer mot. Elle ne savait que faire, attendant avec inquiétude qu'on la trouve. Mais elle avait encore plus peur qu'on la laisse dans cet état.

La dernière chose dont se souvenait Ophélie fut les cris de stupeur de ses sœurs , qui le lendemain , étaient trop épouvantées de la scène pour la libérer de la glace qui l'emprisonnait.

*

- Tiens, Ophélie ! je t'ai apporté de quoi t'occuper les mains.

Ophélie se réveilla, en sursaut, de sa torpeur. Sa mère avait fait éruption dans sa chambre, et avait déposé sur sa couchette, une escarcelle qui laissait transparaître trois silhouettes replètes .

Depuis cet accident de miroir, le docteur l'avait strictement dissuadé de faire le moindre effort physique, et surtout de recommencer à traverser une glace. D'ailleurs, Ophélie n'avait aucune envie de se retrouver à nouveau encastrée entre deux miroirs. Son premier essai s'était révélée d'un tel désastre qu'elle se réservait bien de recommencer à nouveau.

Cela faisait maintenant près d'une semaine qu'elle restait confinée au fond de ses draps blancs . Aujourd'hui, sa mère en avait assez de la voir ne rien faire de ses journées. Elle était drôle , sa mère, avec son chignon affligé, ses rondeurs de maman, et ses douces joues rondes et roses. Mais quelques fois, elle sévissait d'une voix puissante qui faisait trembler les murs de la maison. Et là, sa chevelure rousse se dressait comme des terrifiantes épines , et ses pommettes rougeoyaient plus que les ondoyantes flammes du brasier.

۰۪۫L۪۫۰۰۪۫a۪۫۰۰۪۫c۪۫۰۰۪۫u۪۫۰۰۪۫n۪۫۰۰۪۫e۪۫۰۰۪۫s۪۫۰ Where stories live. Discover now