La cassette

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II/ Artémis

La porte de métal claqua derrière l'extravagante procession. Artémis attendit quelques instants que leurs pas s'évanouissent comme des foulards se déposant au sol. Elle ne fit pas attention à la cassette qu'on lui donné. Elle savait qu'il n'y aurait rien. Elle savait que Farouk avait toujours eu le don d'offrir des présents particuliers.

Lorsqu'elle fut certaine que les grands chapeaux et les deux époux ne furent plus dans son observatoire, elle reprit ses observations. Ses iris jaunes balayèrent d'un coup de chiffon le ciel étoilée. 

Où en était-elle ? Ah oui, la constellation du Dragon. Elle reconnut Eltanin et Rastaban, le nez et les yeux de la créature céleste. Toutes deux brillaient , se consumaient d'énergie transportant dans leurs lumières la chaleur de leurs feux. La flamme du gosier de ce monstre qui surplombaient toutes les autres constellations.

Artémis n'avait de yeux que pour lui. Elle, qui ne l'avait jamais observé aussi longtemps à travers la lunette de son télescope. Elle, qui ne lui jamais accordé autant d'attention. Elle, qui cet instant le trouvais majestueux dans l'immensité du vide au-dessus de sa tête. 

Elle ajusta la netteté du verre et redescendit le long du corps et la queue du Dragon. Cette ligne esquissé par les étoiles, cette forme si informe pour un apprenti mais qui représentait le squelette de cette exquise peinture naturelle.

Presque enroulée autour de ce ventre affamé et courbé, se tenait la petite Ourse. Tête face contre aux entrailles de la bête, ils s'affrontaient  sans bruit, sans geste. Seulement un regard.

Tout était toujours immobile dans les cieux. Les grands érudits et Artémis contrediraient cette observation. Malgré leur lenteur digne d'une pendule où les secondes se sont brisés, le chemin des astres ne restait pas immobiles. Mais pour cela, il faudrait que les yeux de ceux qu'ils les observent perçoivent ce changement même infimes.

La réflexion d'Artémis fut interrompu par l'écho d'une chute. L'esprit de famille repoussa sa chevelure rousse et observa à ses pieds, la cassette qui était tombée. 

C'était cet intriguant Dragon qui avait fait office de messager pour recevoir le présent de son frère Farouk. Malgré sa mémoire digne d'un tourne-disque déraillé, elle se souvenait de lui. Ou plutôt, elle avait gardé un étrange souvenir qui ne l'avait jamais quitté. 

*

Artémis tentait de réparer la magnétoscope qu'elle avait trouvé dans un buisson dehors.

Dehors. Ça faisait  longtemps qu'elle n'y était plus retourné. La dernière fois devait remonter à six mois, le jour où Dieu les séparé. Elle n'avait plus le droit de se promener, d'animer les poupées de chiffon des filles voisines, d'entendre leur drôle de mots. Elle avait seulement accés à ouvrir les rideaux de sa vitre éclatante.

Alors ce souvenir de l'extérieur lui était aussi précieux qu'un Trésor. Elle posa un monocle qui lui faisait office de loupé pour décortiquer les pièces et engrenages. C'etait tout une bibliothèque d'archives. Elle s'amusait à lire leur titre ou plutôt à leur parler.

La petite lampe à huile de son Bureau éclairait faiblement. Le crépitement et l'odeur de flamme embaumait sa chambre d'adolescente. Sa robe de dentelle lui grattait affreusement. Soudain, une brique tomba dans son dos.

Artémis frissonna et se retourna avant de s'apaiser. Elle reconnut l'oeil flamboyant de Pollux. Elle approcha son oreille du trou.

- Tu sais très bien qu'on a pas le droit de se parler, dit elle aussi froidement qu'elle le voulait.

Non qu'elle souhaitait le vexer, elle aurait voulu lui faire comprendre sa discrétion maladroite.

-Je... J'avais quelque chose à te donner de la part d'Ouranos, qui l'a reçu de Bellissima, qui elle même l'a reçu de Janus...

- Qui a été le premier à nous le donner ? Interrompu Artémis.

-Odin... Dieu a été mis au courant des briques et il n'avait apparemment pas eu le temps de te donner cette cassette. Janus a pu le récupérer mais interdiction de l'ouvrir avant que tu ne le reçoive.

Sur ce, une petite cassette transparente, les films enroulés, tomba à ses pieds. Artémis la ramassa et l'examina. D'une main elle remit en place la brique, avec un regard éloquent à son frère.

Ce cadeau tombait comme une étoile. Elle, qui était préoccupé par la réparation d'un magnétoscope, pourrait découvrir le contenu. Elle savait qu'elle ne serait pas Vierge comme les précédentes. Personne n'aurait pris autant de risque pour peu. Même Janus qui aimait les défis impossibles.

Artémis repoussa des mèches rousses de devant ses yeux, les attacha avec un ruban et reprit son brol. La machine dérèglée entamait des soubresauts d'excitation. Elle avait dû l'animer de son impatience. Elle tourna son tournevis et guida les nouvelles vis dans leur mécanismes et recueillit les vieilles pièces au creux de ses doigts de porcelaine.

Quand tout d'assemblage parfaitement comme un puzzle, elle soupira de satisfaction. Elle allait pouvoir lire cette cassette.

Artémis ouvrit la boîte, déposa le présent, referma le couvercle et appuya sur le bouton. À sa plus grande déception, elle n'entendit rien. Ce fut au bout de la huitième minute qu'elle cru entendre un chuchotement puis un éclat de miroir.

La cassette reprit la même scène avec un décalage aussi pareil qu'un écho.

Artémis approcha son oreille de la sortie du son et tenta de comprendre ces mots.

-... Krr... Il faut se diviser... Krr... S'en sortiront très bien, ils sont prêts... Déchirure... Maintenant... Maintenant... Maintenant... Main...

Ce dernier mot se répétait inlassablement même lorsque la bande son touchait à sa fin.

Artémis sentir son coeur battre tandis que des pas se rapprochait de sa porte.

Non ! Elle ne voulait pas lui ouvrir, qu'il rentre ! Elle ne pouvait pas s'enfuir, elle devait obéir !

Artémis se précipita vers la brique de son mur que Pollux avait fait tombé.

- Il est là ! C'est l'heure ! Cria t elle désespérément.

La porte s'ouvrit sur lui. Dieu. Son Livre à elle dans sa main. Sous son regard tendre et brisé, Dieu arracha une page.

Une douleur fulgurante la traversa puis le néant. Le vide, elle se sentait attiré vers le fond.

*

Artémis se réveilla de sa torpeur dans son observatoire à Anima. À quoi pensait elle ? Elle ne savait plus. Ah si, la constellation du Dragon.

La cassette, elle, s'etait brisé. Artémis l'avait oublié. Artémis oubliait toujours parce que ce jour là c'etait sa mémoire qu'on lui avait arraché.

۰۪۫L۪۫۰۰۪۫a۪۫۰۰۪۫c۪۫۰۰۪۫u۪۫۰۰۪۫n۪۫۰۰۪۫e۪۫۰۰۪۫s۪۫۰ Where stories live. Discover now