Chapitre 2.2 : Stage au zoo

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Je deviens folle, ce n'est plus possible.
Depuis qu'elle était rentrée chez elle, Mélinore tournait en rond comme un lion en cage. Ou comme un tigre, lui souffla son esprit. Elle s'en serait arraché les cheveux.

Après avoir aidé Damien à préparer les injections dans un état second, elle avait vu son collègue viser le tigre à travers les barreaux de la cage avant de tirer une fléchette qui avait presque instantanément assommé l'animal. Il était alors rentré tranquillement dans la cage, une valise réfrigérante abritant les vaccins à la main et avait fini son affaire avant même que le tigre ne reprenne conscience. Troublée, elle n'arrivait même pas à se souvenir de comment elle avait fait pour rentrer chez elle et était incapable de dire si elle avait dîné ou non.

Ce devait être une horrible coïncidence. Ou peut-être avait-elle un don de prémonition caché ? Après tout, sa grand-mère paternelle avait bien travaillé comme diseuse de bonne aventure dans un cirque pendant quelques années. Elle avait certes seulement dix-huit ans mais quand même. Peut-être que son père aussi faisait des rêves prémonitoires ? Il faudrait qu'elle lui en touche quelques mots à l'occasion. Et après tout, peut-être que les tigres noirs n'étaient pas si rares, peut-être qu'ils se cachaient seulement parce qu'ils n'aimaient pas la civilisation. Bon, cela faisait beaucoup de peut-être et elle n'était pas plus avancée pour autant.

Pour se rassurer et se convaincre qu'elle contrôlait totalement la situation, elle se mit à faire le point mentalement de ce dont elle était sûre. Mélinore avait toujours eu ce besoin de tout contrôler. C'était, en tout cas, ce que lui avait dit la psychologue qu'elle avait été consulter pour rassurer son père à la mort de sa mère. C'était viscérale. Dès que la jeune fille sentait que la situation lui échappait, elle commençait à paniquer et perdait toute confiance en elle. Petite, elle avait peur du noir qui l'empêchait de surveiller ce qui se passait dans sa chambre. Elle avait alors pris l'habitude de faire des listes, d'apprendre à se poser pour faire le point. C'est ce qu'elle fit cette fois encore.

Elle mit de l'eau à bouillir dans une casserole, sortit un mug particulièrement laid que son père lui avait ramené de l'un de ses voyages et prépara un petit sachet de thé Menthe-Réglisse. Elle grimaça en voyant que c'était du thé bio. Elle n'avait rien contre le bio mais depuis que sa colocataire était tombée sur un documentaire parlant des ravages de l'industrialisation sur l'homme, elle faisait ses courses exclusivement au magasin bio de la ville qui était à l'autre bout du monde selon Mélinore et qui coûtait un bras. La jeune fille avait l'habitude de l'embêter à ce sujet. En effet, Lin n'achetait plus rien qui n'affichait pas le petit logo certifiant l'origine du produit en question. Récemment, elle avait investi dans un dentifrice bio à l'aloe vera à l'apparence douteuse. Mélinore avait accepté d'essayer la première fois la pâte verdâtre avec son amie et n'y avait ensuite plus jamais touché. En plus du goût exécrable du produit, elle avait passé la journée avec une haleine de chacal, si bien qu'après avoir fait fuir le garçon qui était en passe de devenir son mari, elle n'avait plus osé ouvrir la bouche de la journée.
Lin avait ensuite essayé la cuisine bio et s'était convertie en vegan convaincue. De même qu'avec le dentifrice, elle avait entraîné sa pauvre colocataire dans ses lubies. Les placards s'étaient remplis de tofu et d'une dizaine d'herbes vertes d'origine inconnue si bien qu'à chaque fois que Mélinore cherchait de quoi grignoter dans la cuisine, elle repartait les mains vides. En deux semaines, elle avait ainsi perdu trois kilos en même temps que toute sympathie qu'elle avait un jour pu éprouver envers les légumes. Le jour où elle avait craqué en entrant dans un fast-food, elle s'était empressée de commander puis d'engloutir en un temps record les aliments les plus gras et les plus mauvais pour la santé disponibles.

Le minuteur sonna, la sortant de ses pensées. Elle versa l'eau bouillante dans le mug en prenant soin de ne pas se brûler, plongea les deux petits sachets de thé qu'elle avait préparé au préalable et soupira d'aise en voyant le filet de fumée familier et rassurant qui s'échappait du breuvage. Elle mit de la musique douce sur son ordinateur et s'emmitoufla dans son plaid préféré. A présent plus calme, elle commença à faire le point sur tout ce qui lui était arrivé. Elle arriva à la conclusion que tout cela n'était qu'un énorme malentendu et que le tigre du zoo de Sangré était un tigre normal, bien que rare. Et elle vérifierait d'ailleurs dès demain que son comportement était le comportement d'un tigre normal -et non celui d'un prince transformé en tigre noir aux yeux bleus par un sorcier maléfique quelques siècles plus tôt. Et elle acheva de se rassurer en se disant que ce rêve loufoque devait être le reflet de son imagination débordante et qu'elle ferait bien d'écrire un livre plutôt que de se rendre folle avec des élucubrations tout droit sorti de son cerveau étriqué. C'est sur ces douces pensées qu'elle alla se coucher, en essayant de ne pas penser au visage horripilant qu'arborerait Patrick alors qu'il lui désignerait avec satisfaction l'énorme pile de dossiers dont elle devrait s'occuper le lendemain.

FAUVEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant