Fragment premier - La fille

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Texte qui fait écho à "Réflexion(s)", présent dans mon recueil de poèmes. 


Là, juste là, je t'ai trouvé beau. Je n'y avais jamais vraiment réfléchi jusqu'ici. Mais à cet instant précis, j'ai compris quelle était cette chose dont me parlait mes amis. 

J'ai senti mon cœur vibrer à l'unisson du tien, pour un geste anodin. Nous avons ri à la même anecdote et naturellement, tes yeux ont cherché les miens. 

Dans tes prunelles, j'ai lu toute la chaleur du monde. Tu me couvais du regard, m'enveloppant dans un cocon de douceur. J'ai eu l'impression d'être un joyau. 

De briller, rien que pour toi. À cette pensée, la flamme de mon cœur s'est faite plus vive. 


Maintenant que le temps a passé, je regrette cette vie qui nous a écartés l'un de l'autre. Occupés à faire semblant de vivre, on a perdu notre temps et notre chance s'en est allée, voletant aux côtés des audacieux. 

Je regarde d'insouciants oiseaux qui se posent sur le noisetier, un peu plus bas dans mon jardin. Les mains enroulées autour des genoux, que j'ai ramenés sous mon menton, j'observe le monde qui m'entoure. Je sens ton fantôme à mes côtés, reflet de mes pensées, de nos actes manqués. Sa présence m'apaise, en un sens. 

J'aurais tant voulu comprendre plus tôt qu'il ne fallait surtout pas se retenir. Qu'il fallait que je me mette à vivre, avant qu'il ne soit trop tard. Avant que je ne me réveille un jour, réalisant soudain que j'étais passée à côté de tant de choses. Je n'ai jamais dansé jusqu'au bout de la nuit, vu le soleil se lever, ni déclaré mon amour à ceux qui le méritaient. Je n'en ai pas profité, de cette formidable opportunité qu'étaient ces lendemains sans fin qui s'ouvraient face à moi. J'aurais pu le faire, mais je m'en suis abstenue. 


Pourquoi ? Tout simplement parce que j'avais peur. Ça demande du courage, de se lancer dans la vie ainsi, à pieds joints. De s'ouvrir aux autres, de dire oui, de découvrir ce qu'il y a au détour d'une ruelle, de rire avec des inconnus. De prendre soin de ses proches, de cultiver son amour de soi, de se démener pour gagner son dû, jour après jour, chaque matin appelant le suivant. 

Je crois qu'il était plus simple pour moi d'abandonner. 

C'est ce que j'ai fait, d'ailleurs. 

Ce prochain lendemain qui parvient sera pour vous empli de peine. 


Je le sais. Vos larmes vont couler, l'incompréhension va vous gagner. Maman, tu vas hurler. Tu vas tomber à genoux, ma main si fraîche au creux de la tienne, et tu vas crier ta douleur au monde entier. C'est à ce moment que papa entrera dans la pièce, et comprendra, dévasté, la scène qui s'offre à lui. Lentement, sans faire de gestes brusques pour ne pas encourager cette rage qui lui compresse le cœur, il te prendra dans ses bras, parce qu'il sait comment prendre soin de toi. 

Je vous aime fort, tous les deux. 

Mais je n'ai pas la force. Chaque matin, j'essaie, mais mon cœur saigne, mon corps est malade. Je ne suis pas taillée pour l'aventure, alors je vous laisse continuer seuls. 


Je vous demande juste de protéger Éva. Ma jolie Éva, mon ange. C'est la lumière qui m'a faite avancer, ces derniers temps. C'est pour elle que j'ai fait avec vous ce dernier voyage. Il était beau. J'ai profité de chaque instant, de toutes les émotions qui sont passées sur vos visages. Je me suis délectée de vos rires qui résonnaient sous le soleil, de notre complicité, de votre amour, si fort qu'il illumine ce qui vous entoure. Celui-ci n'est pas en cause. Je sais que vous donneriez votre vie pour la mienne. 

C'est précisément pour ça que je vais vous dire au revoir. Adieu, même. Je veux que vous gardiez en vous ces dernières images de moi, souriante. 

Vos espoirs de rémission, votre volonté de me voir reprendre goût aux instants du quotidien. 

La lumière du petit matin qui éclaire l'arrondi de la joue d'Éva, mangeant ses céréales en gazouillant, et met en valeur vos yeux qui se posent doucement sur elle. Maman, tu souffles sur ta tasse de café, grommelant qu'il est trop chaud, exactement comme hier et tous les jours avant celui-ci. Papa, tu lis le journal et le baisse de temps en temps, par habitude et volonté de vérifier que toute ta petite famille va bien. 

Tous ces fragments de vie, je les chéris. Et je suis égoïste, parce que je les emporte avec moi. Mais j'emporte également le poids qui vit sur vos épaules et ne s'allège jamais vraiment, reprenant sa place après chaque sourire, coulant autour de vous, serrant continuellement votre âme. J'emporte avec moi la maladie, les pleurs, les sanglots, et j'espère trouver la paix. 

Trouvez-là, vous aussi. C'est tout ce que j'espère. Acceptez-là, car vous la méritez pleinement. 


Je voudrais que cette lettre ne se finisse jamais, pour repousser le moment fatidique. Mais les pilules sont là, posées en évidence auprès du papier sur lequel j'écris. Elles pèsent sur les mots que j'enchaîne et m'entraînent dans l'obscurité, vers cette nuit éternelle qui me tend les bras.  Je m'en vais voir cet au-delà qui a commencé à m'enlacer, depuis si longtemps déjà. C'est là-bas qu'est ma place, parmi les silhouettes évanescentes, celles-là mêmes qui s'élèvent toujours plus haut dans les cieux. Je les rejoins dans leur ascension, faisant sur mon passage scintiller les astres, parsemés sur la sombre toile tendue au-dessus de vos corps endormis. 

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 28, 2019 ⏰

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