La pianiste

La pianiste - 1ère partie

Ses doigts passaient d'une touche à l'autre. Blanche, blanche, noire, blanche, noire, noire. Aucun son ne sortait, personne ne pouvait savoir ce qu'elle jouait. Les notes jaillissaient dans son casque qu'elle portait en toute occasion. Jamais elle ne s'en débarrassait, les mélodies qui en sortaient étaient bien trop précieuses. C'était son répit de la journée, son moment de légèreté rien qu'à elle. Il lui suffisait de sauter d'une touche à l'autre, aussi aisément que si elle était née avec le répertoire en tête.

Sa poitrine s'allégeait au fil de la musique, tous les soucis qu'elle avait accumulés s'en allaient, elle s'envolait dans son petit paradis. Une fois arrivée à la fin de la musique, elle recommença. Jamais ça ne devait s'arrêter, il le fallait pour son bien-être.

Le monde était trop sombre pour elle. Une tache blanche dans un monde de noirceur, voilà ce qu'elle aimait à dire quand elle se présentait. Il fallait qu'elle garde cette pureté pour survivre, il ne fallait pas se laisser couler. Un ange en tunique blanche s'envolant au-dessus des eaux noirâtres, profondes, sales. L'image lui plaisait.

Elle voulait s'y accrocher, s'y raccrocher fermement pour ne plus quitter cet état de calme. Se concentrer sur l'image de l'ange qu'elle était.

Une main se posa sur son épaule. Il était l'heure. Elle devait s'arrêter de jouer, s'achever sur une dernière note hasardeuse. La main la tira doucement en arrière. Il fallait lâcher le piano. Ses doigts s'éloignèrent des touches. Elle enleva le casque. Ses cheveux lui tombèrent en fine pluie devant le visage. Sa vision se brouilla.

Il aurait préféré se trouver ailleurs, ne pas avoir à faire un tel travail. Elle pleurait en silence, et il ne pouvait la réconforter d'aucune manière. Sa main posée sur son épaule, c'était le maximum qu'il puisse faire.

Il s'accroupit à côté d'elle. Elle se déplaça lentement sur la gauche, lui permettant de s'asseoir près d'elle. Elle aurait sûrement voulu un câlin de son père ou un tendre baiser de sa mère, qu'elle aurait déposé sur son front avec toute la délicatesse dont elle pouvait faire preuve. Cela n'arriverait plus. Et tout ce qu'il pouvait lui apporter, c'était une main sur l'épaule, ou une parole réconfortante. « On fera tout ce qui est en notre pouvoir pour retrouver l'homme qui... »

Elle ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Sans un mot, elle prit le casque en mains et le lui tendit. Il l'accepta, ne sachant pas trop qu'en faire. Elle lui désigna ses oreilles. Il fallait qu'il le mette. Il hésita un instant.

Les doigts de la jeune fille reprirent leur place sur les touches, elle inspira et recommença là où elle avait été interrompue.