La pianiste

La pianiste - 2ème partie

Le son avait été mis assez fort pour couvrir les bruits de fonds de ses collègues, il s'en rendit compte dès le premier accord. Les yeux mi-clos, elle continuait à jouer. Rien ne semblait la distraire, elle connaissait par cœur la mélodie. Même sans l'entendre, elle la ressentait.

Il fut pris à son tour. Les gyrophares qui éclairaient successivement la pièce de rouge et de bleu ne l'atteignaient plus. Il était parti avec elle, dans son monde qu'elle lui dévoilait. Sa gorge se serra. Il repensa à sa fille, à peine plus âgée que celle à ses côtés, qui l'attendait chez lui. Sa femme n'allait pas tarder à rentrer. Sa gorge se serra davantage. Il rentrerait chez lui ce soir-là, il retrouverait ses deux amours. Il pourrait les prendre dans ses bras, leur dire combien il les aimait.

Il essuya une larme qui menaçait de couler, de la manche de son uniforme. Il n'osait pas regarder la jeune fille. Elle dont le monde venait de s'écrouler, elle qui survivait à travers la musique. Elle avait été épargnée, elle allait s'en sortir, mais pour lui, pour lui c'était différent. Il savait bien qu'elle était une victime de plus, que personne ne pourrait sauver. Elle allait affronter seule le regard des gens. La pitié, la tristesse, l'empathie ne seraient que des mots sans valeur à ses yeux.

« Oh, je suis vraiment désolé pour toi... » Combien de fois l'avait-il entendue, cette simple phrase qui ne pouvait effacer les plus infimes chagrins. C'était la seule arme de certains, qui tentaient tant bien que mal de se tenir à l'écart des pleurs et cris de désespoir.

Ce fut déjà fini, la musique s'éteignit, le laissant silencieux. Il rouvrit les yeux, posa une main sur le piano pour se ressaisir. Tout allait trop vite autour de lui, les gens circulaient sans s'occuper d'eux. Elle lui enleva le casque et le reposa sur ses genoux, en ne le lâchant plus. Il se tourna vers elle, mit sa main sur la sienne pour la rassurer. Elle avait un regard effacé, absent. Il ne pouvait l'aider plus qu'il ne le faisait déjà, elle était trop loin, hors de portée. Personne ne saurait décrire ce qu'elle avait vécu ce soir-là, personne.

Il resta là, assis à côté d'elle, ses mains sur les siennes, à attendre que la soirée passe, que la maison se désemplisse de policiers, qu'on emmène les corps à la morgue.