La forteresse grise. Ses tours s'étendent vers le ciel, cachent ses nuages et plongent les petites tâches sombres dans l'ombre. Les petites taches noires se hâtent, parcourent la bâtisse terne, longent ses murs, habitent ses rues. Il y en a un grand nombre, on croit qu'elles sont identiques mais, en s'approchant, la petite tâche prend des couleurs, s'illumine, on se rend compte que ce n'est pas qu'une simple fourmi. Jade est une petite tache noire, vue du ciel mais il suffit de se rapprocher pour distinguer finalement un être des plus colorés.
Dans une petite rue du centre-ville se dressait un vieux bâtiment. C'était à son rez-de-chaussée que Jade abritait ses trésors. Des trésors de multiples couleurs, pour tous les goûts, qu'il vendait aux curieux qui entraient dans sa boutique. La majorité de ce qu'il vendait était fait main, objets travaillés avec soin et amour, un grand amusement pour les touristes qui passaient dans le coin. La devanture avait été entièrement refaite peu de temps auparavant. La peinture scintillait, à présent, et mettait en valeur le nom de la boutique : l'Esquisse. Un nom simple, un nom élégant, qui reflétait les pensées les plus profondes de l'artisan. Ce qu'il présentait n'étaient que des ébauches, guère du grand art, qu'il dévoilait avec modestie et pudeur pour pouvoir vivre de sa passion. Il laissa ses yeux se promener sur la vitrine soignée, décorée par ses soins, admira avec une fierté qu'il ne parvenait à étouffer les courbes élégantes sur lesquelles il avait passé des heures, tourna la clef dans la serrure, et se faufila dans son petit univers. Le parfum y était singulier, mélange de fleurs, de bois, de cuir et des diverses matières qu'il se plaisait à modeler tout au long de sa journée. Il retourna avec soin l'affichette qui déclamait l'ouverture, et tira de son petit sac en papier une nouvelle toile qu'il avait peinte dans la soirée, par ennui ou par envie. Il ne les vendait pas toutes, en gardait certaines, offrait les autres, et ressentait toujours un savant mélange de joie et de regret lorsque l'une de ses œuvres attirait l'œil d'un client. Il la posta minutieusement non loin des quelques autres pièces, l'œil critique, soucieux de ne pas masquer d'autres créations, sembla satisfait, et retourna derrière le comptoir qui lui servait également d'atelier. Les journées étaient toujours calmes, puisqu'il n'était qu'un artiste inconnu parmi tant d'autres, mais il parvenait toujours à attirer une poignée de personnes, et il avait quelques habitués parmi les mères qui appréciaient les jouets qu'il concevait, ou les jeunes femmes qui convoitaient les bijoux originaux qu'il changeait régulièrement.
La clochette qui trônait devant la porte teinta, lui fit relever les yeux d'un morceau de pierre qu'il taillait avec un soin terrible, et il avait comiquement une tâche de peinture sur la joue, incapable de demeurer intact plus d'une heure. Un sourire léger étira ses lèvres en reconnaissant la jeune femme qui venait d'entrer dans la boutique, et il se releva en un petit bond guilleret pour aller se perdre dans l'arrière-boutique.
-Navré de vous avoir tant fait attendre, mais cette fois-ci, elle est prête ! Chantonna-t-il d'un ton victorieux, alors que la cliente lâchait un rire : C'est qu'elle était plus compliquée qu'on ne le croirait, mais rien que je ne saurais surmonter...
-Je suis ravie de l'entendre, Charlotte a passé les derniers jours à la réclamer sans cesse... Elle va être heureuse que j'aille la récupérer à l'école avec une surprise.
Donner de la joie, c'était sans doute cela, l'objectif du jeune artisan, aussi Jade en fut-il enchanté. Tout en répondant à la demande du client, il rajoutait à son œuvre une touche d'originalité qui donnait à l'objet un aspect unique et chaleureux. Ses clients étaient peu nombreux mais variés, il pouvait avoir des demandes très diverses, et c'était justement ça qu'il aimait, s'adapter aux goûts des gens et relever les défis de la création. Les clients aimaient ou détestaient mais ne pouvaient pas dire qu'il n'y avait pas de travail dans tout ce qu'il pouvait proposer. Les mains de Jade étaient au cœur de ses travaux, tout comme son cerveau qui agençait tout l'attirail, mais son imagination restait la part la plus importante de son petit monde. Cette fois-ci, le cerveau de la situation avait été celui de la petite Charlotte. L'idée venait d'elle, de son dessin d'enfant. Elle avait griffonné, grossièrement, une sorte de dragon, comme elle le lui avait dit avec entrain lorsqu'elle était venue passer commande, et Jade s'était amusé à le styliser à sa manière pour en faire un petit jouet en bois, solide, et peint de façon minutieuse. Il rappelait un peu Krokmou, du film Dragon, avec ses grand yeux gris enjoués, mais la ressemblance était sans doute due au fait que la fillette ne jurait plus que par ces films.
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Aquarelle
ParanormalQue se passe-t-il quand l'Homme découvre un être qui manquait à son précieux catalogue ? Face à une telle situation l'Homme peut être doux, mais cruel, donner des baisers ou torturer. Quel sera le sort de Jinx dans un monde qui le protège et le reje...