Le mystère Charlie

Prologue / Premier arrêt de l'Aston

Dans la petite bourgade de Barden, les matinées se confondaient aisément avec les après-midis. Ce qui fait qu'on distinguait deux sortes de personnes ici : celle tenant à tout pris à garder les pieds dans la réalité : ceux là portaient discrètement une montre au poignet, comme si le temps étaient la seule chose réelle et sur laquelle ils avaient une emprise. Et puis il y avait les autres, qui fièrement arboraient des mains nues de toutes contraintes assénant que le temps était une invention humaine, privant l'Homme de ses libertés. 

                                                                                                 *

Julia avait 16 ans. Du moins en apparence car quiconque l'écoutait parler lui donnait bien plus. Elle avait vu des choses difficiles. Son père lui avait donné comme conseil de raconter ce qu'il s'était passé pendant l'automne, pour aller mieux. 

Arrêtée à l'orée de la forêt de Barden, la jeune fille sort son cahier, corné avec l'humidité qui règne ici. Elle sillonne les routes avec sa voiture, une Aston Martin DB6, héritée de son frère. S'il y a bien une chose qu'il aimais, c'était les pièces de collection. Se souvenir est douloureux, mais au vu du nombre de pages grisées, on devine qu'elle est déterminée. A tourner la page. En interrogeant les gens des environs mêlés à l'histoire pour savoir tout ce qu'ils savent de Charlie, la fille qui a disparu. Du jour au lendemain. 

Quand Charlie est partie, on savait qu'elle planifiait ça depuis longtemps. On c'est-à-dire, moi, Fran, Romane, Tomy et Line. 

Nos jeux étaient drôles et quelquefois sérieux, ou le devenaient. 

Il y a quatre ans, un incendie avait ravagé une maison située à la sortie de la ville. Trois corps avaient été retrouvés, difficilement identifiables. Parmi eux, une fille dans la même classe que Charlie et moi. Pourtant, seule Charlie a réagit de façon extrême en s'enfermant dans un mutisme complet. 

Sa soeur Fran allait souvent se promener avec elle.  Elle n'avait pas choisi Barden par hasard. avec son nombre interminable de sentiers de promenade, c'était un bon moyen pour faire sortir Charlie. Mais rapidement, elle s'est rendue compte que le temps ici ne permettait pas de sortir comme on voulait. 

Julia lève les yeux. La bibliothèque de la ville lui a toujours fait pensé aux manoirs abandonnés des films pour enfants des années 90, dans le genre 'Le Manoir et les 999 fantômes' ou bien 'Jumanji'. Pourtant, elle était tout le temps ouverte, en dehors des horaires conventionnels. De ce fait, les amoureux des belles lettres et les âmes en peine de distraction voyaient en cet endroit un havre de paix, silencieux et accueillant malgré tout. 

C'est comme ça que Line l'a vu, la première. A la bibliothèque. Line y travaillait et n'a pas fait plus attention que ça quand Fran et elle cherchaient des livres, puis s'asseyaient pour les lire, parfois tout un après-midi. Non, c'est quand Fran a arrêté de venir que Line a remarqué Charlie. Elle ne semblait pas du tout concernée par les personnes autour qui allaient et venaient. Son regard scrutait les pages du livre. Elle semblait analyser la situation. Celle de l'histoire au détriment de la réalité qui se jouait ce jour-là. 

Romane est la première à lui avoir parlé. Avant de comprendre qu'aucune conversation n'émergera entre les étagères où elles se tenaient. L'expression de Charlie était assurée et polie. Elle a ébauché un sourire en ne la quittant pas des yeux. Romane, décontenancée est repartie scruter les rayons, en la laissant tranquille. 

C'est ensuite Tomy qui lui a conseillé un livre. Une fois fini, elle le lui a rendu, accompagné d'une petite critique. On ne s'attendait pas à ce qu'elle aille jusque là, mais encore moins à ce qu'elle avait écrit. Sa critique énumérait les moments du roman qu'elle avait aimé. De l'avant-dernier chapitre uniquement. C'était le seul qu'elle avait lu.  Ils avaient continué à échanger de cette manière jusqu'à ce que Fran estime que sa soeur pouvait se promenait seule. 

J'ai su qu'en réalité, Tomy l'accompagnait régulièrement. Il en savait donc plus que nous tous sur Charlie, en théorie.  

De fils en aiguilles, les trois ont apprivoisé Charlie et ont commencé à se retrouver régulièrement chez le jeune homme.