CHAPITRE I - La taverne les Trois-cornes: l'arrivée (3) ~ Déjà-vécu ~

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Brore tressaillit de son siège, comme s'il s'était endormi et réveillé d'un cauchemar. L'autre eut un mouvement de recul et fronça les sourcils. Brore se sentait perdu. Il lui fallut quelques instants pour reprendre bonne contenance et se rappeler de là où il était. Tout lui semblait étrange et incohérent. Ses mains tremblaient et son corps frissonnait, sans qu'il puisse comprendre pourquoi.

– La spécialité, lança l'autre en lorgnant le gobelet, appelé également le trois-cornes, d'où le nom du bar. Vous savez pourquoi on l'appelle ainsi ?

Quelque chose dérangea Brore dans le timbre de la voix de son interlocuteur. C'était comme si cette phrase avait été répétée et avait perdu la spontanéité de ce qui vient naturellement.

– Heu... non. Je ne sais pas.

– ... Eh bien, c'est parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans. On devine un léger goût d'hydromel – peut-être. C'est un jeu ici de trouver. C'est Marmine qui a inventé la recette et qui la garde secrète, dit-il en tendant son bras vers la femme qui faisait le service.

« Marmine ». Ce nom ne lui était pas étrangers. Dans le lointain de son esprit perplexe, il sentait qu'il l'avait déjà entendu. Dans un recul intérieur, Brore se demanda dans quelle étrange machination il se trouvait.

– Bon et moi, maintenant ! demanda l'homme en noir.

Il dit sa phrase sur le ton d'un enfant impatienté par une promesse et sautilla sur son siège.

– Quoi ? Pardon ?

– Bah vous m'avez invité à boire, pour vous excuser de m'avoir agressé. Je mérite bien ça, non !

Les souvenirs de son passé récent revinrent en flèche, comme s'il venait du plus profond de son esprit.

– C'est vrai...

Il se tourna vers le comptoir.

– ... Madame pourrais-je avoir une chope de bière ?

Les gros yeux de l'inconnu lancèrent un regard déçu.

– Si je me souviens bien ? Vous aviez aussi promis de répondre à mes questions ?

– Si vous vous souvenez bien ? Votre mémoire vous fait tel défaut ?

– Comment ça ?

La bière arriva. Dès lors, l'homme en noir détourna son attention de Brore pour lorgner la chope qu'il vida à moitié cul sec. Tout en gardant la précaution de cacher le bas de son visage par ses mains. Après avoir bu goulûment, il revint vers le jeune homme.

– La mémoire ! C'est une chose vitale pour l'homme. C'est ce qui nous permet de garder une certaine cohérence dans nos vies. Sans mémoire, on serait condamné à reproduire éternellement les erreurs du passé.

– Je sais ça ! Ma question ne porte pas sur la mémoire ou son utilité, mais sur...

– Non vous ne savez pas ! Vous avez seulement le pressentiment de savoir ! Et vous êtes proche du but.

– Vous me perturbez depuis tout à l'heure. Vous êtes étranges. Votre façon d'être ! Vos phrases énigmatiques ! Bon sang, je veux juste des réponses à mes questions !

L'homme en noir ne l'écouta pas, et se contentait de rester fixé sur la chope de Brore à peine touché. C'était la spécialité qui lui faisait envie.

– Oh par la Créatrice ! Prenez cette chope et écoutez-moi, dit-il à bout.

- Héhé...

Soudain satisfait, l'étrange personnage s'exécuta. Ni une ni deux, il laissa couler le contenu dans sa gorge.

– Pour vraiment connaître quelqu'un, il faut trouver ce qui le met hors de lui. Ce qui vous met hors de vous, c'est qu'on n'accède pas à vos exigences. Ça, c'est une mentalité de citadin.

Brore ne put retenir un déclic intérieur qui l'agita et le fit se redresser vivement.

– J'ai déjà entendu ça ! Ça fait trois fois. Quelle est cette diablerie ! Qu'est-ce que vous me faites ?

L'homme en noir resta stoïque. Ses yeux s'allumèrent d'une lumière miroitante de satisfaction.

– Une fois que sont semées les graines de l'incertitude, le doute pousse comme du chiendent. Vous avez l'impression d'avoir déjà vécu cette scène sans vous le rappeler, n'est-ce pas ? Là, vous vous posez tout un tas de questions : Qu'est-ce qui m'arrive ? Où-ai déjà entendu ça ? Est-ce que je suis fou ? Et si vous creusez plus loin, vous pourriez commencer à douter de vos propres sensations et perceptions des choses. Vous pourriez douter de la réalité ! C'est pour ça que vous n'arrivez pas à vous rappeler, mais que vous conserver une sensation de déjà-vécu ! Car votre esprit, prisonnier de ses habitudes de pensées et de la certitude de savoir comment la réalité fonctionne, ne peut pas accepter ce qui sort de l'ordinaire, ce qui ébranle sa compréhension du monde. Ce qui est surnaturel. Les sensations d'inquiétantes étrangetés, ce sentiment que les choses ne tournent pas rond et les impression de déjà vu sont le résultat de l'esprit qui se souvient, mais qui refoule, pour garder une cohérence d'ensemble dans notre lecture du réel et ne pas sombrer dans la folie.

– Qu'est-ce que ça veut dire ! Qu'est-ce que vous êtes au juste ? Ça ne peut pas être ! Ces choses-là n'existent que dans les histoires anciennes ou dans les légendes.

– Si vous voulez comprendre ce que je suis, il vous faut accepter une autre dimension de la réalité et une autre grille de compréhension du réel. Il vous faut accepter de plonger avec moi dans le surnaturel, et dans cet océan de mystère, d'ineffable et d'incompréhensible.

A ces derniers mots, les yeux de l'homme s'illuminèrent de blanc, la lumière autour de lui déclina comme si elle le fuyait. Brore fut paralysé de terreur. Le mot « surnaturel » sonnait dans sa tête résonnant en de multiples échos. Dans un murmure inextinguible, la voix de l'homme en noir lui dit : « Es-tu prêt à voir au-delà de tes croyances sur le monde ? »

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⏰ Last updated: Dec 11, 2019 ⏰

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Les Chroniques de Tamaran: Les ÉlémentalistesWhere stories live. Discover now