Hortensias

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        La forêt portait les stigmates de l’automne. Les arbres avaient laissé tomber leur robe de feuille sur le sol humide, les oiseaux ne chantaient plus, les abeilles ne volaient plus, le son répétitif des criquets ne résonnait plus dans les hautes herbes… La vie semblait être silencieuse, et seulement présente sur le sol, où se trainait un grand nombre de limaces et d’escargots.

        Les feuilles mortes craquaient sous mes bottes de plastique. Je me perdis dans la contemplation des multiples nuances de marron orangé... quand soudain, un coup de vent souleva la couverture de feuilles à mes pieds et attira mon attention sur un petit objet de bois. Un crayon couleur acajou orné de dorure à l’extrémité.

        Son crayon.

        Dans un somptueux bruit de froissement feuilleté, je tombai à genoux. Le coussin de feuillage rouge amortie ma chute.

        Son crayon... juste là. Que faisait-il ici ? Elle avait disparu depuis un an. Comment son crayon aurait-il pu être ici ? Elle serait peut-être… revenue ? Non, bien sûr que non. Comment pouvais-je penser cela... Je me ressaisis et ramassai ce petit objet qui me noyait violemment sous une foule de souvenirs douloureux. Je glissai le bâton de bois et de graphite dans la poche de ma salopette pour le faire disparaître de ma vue, et me relevai. Après tout ce n'était qu'un crayon, ils se ressemblaient tous. Pourquoi le prendre alors ? Je… je ne savais pas. Elle avait une façon particulière de tailler ses crayons, méthode que je lui avais montrée. Au lieu d’utiliser un vulgaire taille-crayon, cet objet totalement superflu et inutile, il valait mieux, d’après moi, tailler un crayon au couteau. Cette technique laisse des marques irrégulières dans le bois au sommet du crayon, cela donne un côté artisanale et personnel.

        Pour m’assurer qu’il ne s’agissait pas de son crayon à elle, chose totalement impossible, je glissais ma main dans ma poche pour le reprendre mais…

        Il avait disparu. Pourtant il était bien réel, je l’avais vu… et ma poche n’était pas trouée. Disparu.

        Il se mit à pleuvoir. Les arbres étant à demi nus, l'eau commençait déjà à ruisseler sur moi, provoquant une douce musique mouillée contre les feuilles sèches.

        C'était elle qui m'avais appris à faire attention à tous ces bruits... D’ailleurs, j’entendais encore sa voix :

« Chaque son est une musique, me chuchotait-elle à l'oreille, écoute bien à chaque instant toutes les notes qui proviennent de ton environnement... le frappement réguliers de tes pas, le frottement du stylo sur une feuille, le glissement du pinceau dans la peinture, les feuilles qui tombent des arbres, le bourdonnement des abeilles... »

Et dans ces moments-là, je l'écoutais en souriant. J'aimais sa poésie, sa façon de voir la vie. Pour elle, tout semblait être de l'art, de la chose la plus hideuse au summum de la beauté, d'une bestiole répugnante à une fleur aux pétales exquis et au parfum enivrant. D’un bruit fracassant de métal à une douce mélodie de violon. Elle rendait chaque petit détail qu'elle croisait magnifique.

        Sa beauté était contagieuse.

        Grâce à elle, je n'arrêtais jamais de peindre. Elle fut une source d'inspiration sans épuisement. Tant d’idées me sont venues grâce à elle dans cette forêt, grâce à sa voix, ou bien aux mélodies si variées de son saxophone.

        Ah son saxophone... ce magnifique instrument doré qu'elle accrochait à son cou délicat. Elle se rendait tous les mercredis à son agréable cours de musique. Mercredi, merveilleux jour où j'adorais sortir dans la ville pour peindre une maison soignée, un lampadaire élégant, un coin de rue ombragé, ou même un passant.

Fleurs fanéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant