Géraniums

34 3 12
                                    

        Je me souvenais encore de la profonde déception que j’avais ressentie en ce mercredi après-midi.

        Il y avait du vent, beaucoup de vent. Tellement de vent que je dus abandonner mon béret qui ne me quittait jamais, à peine j’avais franchi la porte de la maison. Une bourrasque me le mit par terre et je préférai le laisser chez moi, de peur de le perdre.

        Ce souffle gelé se déchainait encore plus sur la jolie place fleurie. Il me transperçait les entrailles, me glaçait le sang, faisait apparaître de la chair de poule sur chaque centimètre de peau non-recouvert de tissu, couchait les arbres au sol, empêchait les pauvres oiseaux de voler, balayait violemment la poussière sur le sol de place…

        Je me dirigeais vers les géraniums, en entrouvrant à peine les yeux pour ne pas recevoir de poussière, lorsqu'une fleur arrachée roula à mes pieds, soufflée par ces rafales démentielles. Je continuai de marcher, bravant la tempête, puis je m'assis sur le bord du bac de fleur, resserrai mon écharpe en frissonnant et envoyai mon regard vers le massif.

        Je découvris alors un massif dénué de fleurs. Ce massif déchiqueté, déchiré, arraché par les bourrasques, ce massif prometteur de la semaine dernière qui portait des dizaines d'énormes boutons prêts à éclore m'apparaissait alors comme un mensonge. Elle avait prédit de magnifiques fleures, elles étaient détruites. Je n'avais plus rien à peindre. C'est alors que j'aperçus les nombreux pétales gisant sur le sol de place, entrainées par le tourbillon soufflant. Un garçon passa, une housse de violon à la main, il piétina au passage la seule fleure qui n'avait pas encore éparpillé ses pétales. Un violoniste, puis une guitariste, pas la moindre lueur d'un saxophone. Deux heures passèrent, deux heures à attendre dans le froid avec, pour seule compagnie, un cadavre de géranium.

        Je finis par partir, le cœur plein d'amertume, de déception, de confusion... Sa promesse de venir demeurait comme les fleurs : déchiquetée, déchirée, arrachée par le vent. Toute cette semaine s'écoula sans qu'aucun de mes crayons et de mes pinceaux ne laissasse sa trace sur du papier. Ce fut une longue semaine, faite de jours laborieux et démoralisants. Cependant, tout au long de ces affreuses journées, une multitude de questions ne cessaient de s'entrechoquer dans ma tête, suivies ensuite de réponses plus illogiques et confuses les unes que les autres. La semaine d'avant, son sourire mystérieux et son regard pétillant ne mentaient pas, et pourtant, son absence avait bien été réelle. Je lui cherchais une centaine de raisons pour son absence, mais un sentiment de trahison envahissait déjà chaque cellule de mon corps. Je ne trouvais pas d'antidote contre cette invasion de doutes et de questionnements interminables.

        La seule chose à faire fut d'attendre le mercredi suivant pour tenter de la revoir, et d'ainsi mettre fin aux maux de crâne insoutenables qui résistaient à tous les comprimés que je pusse avaler. La boîte fut enfin vide le jour tant attendu. Pourtant, une personne habitant malheureusement sous le même toit que moi, aussi appelée ma mère, semblait décidée à m'empêcher de retourner sur la place fleurie.

« Maman s'il te plait... suppliai-je

- Non tu ne sortiras pas aujourd'hui, tu dois m'aider pour ranger la maison ! ordonna-t-elle.

- Juste une demi-heure...

- Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir peindre pendant une demi-heure ?! cracha-t-elle, méprisante.

Elle adorait me rabaisser en méprisant ce que je peignais. Ma mère ne s'énervait jamais, mais avait pour habitude de garder ce calme exaspérant pour me lancer des horreurs dès qu'elle en avait l'occasion.

- Je ne peindrai pas, je veux juste sortir un peu ! me défendai-je.

- Non. Nous n'avons pas le temps, affirma-t-elle en me fixant de son dur regard plein de reproche.

Fleurs fanéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant