Chapitre 1
Avant,un an plus tôtLa maison était sens dessus dessous. Constance aurait pu se payer une femme de ménage, mais elle tenait à s'en charger. Elle ne faisait pas non plus appel à une nourrice pour les filles. Elle prenait son rôle de mère et de femme au foyer très à cœur.
En règle générale, elle s'en sortait bien. S'occuper d'une si grande maison tout en gérant des jumelles de cinq ans, sans parler des dîners d'affaires que lui imposait parfois Tommy, c'était un travail à plein temps, qu'elle minimisait trop souvent.
Vic n'était pas dupe. Elle voyait bien derrière le sourire de sa meilleure amie la fatigue, la lassitude aussi. Tout comme elle savait que ces dîners d'affaires n'étaient pas du fait de Tommy, son frère, mais bien de leurs parents. Vic en avait vécu des tonnes dans son enfance, et dès qu'elle en avait l'occasion, elle prenait les jumelles afin de leur éviter ce calvaire.
Vic venait de garder les filles dans la maison luxueuse de son frère et de sa meilleure amie, avec vue sur le lac d'Annecy, pendant que les parents dînaient au restaurant pour entretenir les relations d'affaires. Les jumelles y avaient échappé pour une fois. On n'emmène pas des enfants au restaurant, avait conclu la mère de Vic, bien contente que sa fille soit enfin utile.
— Alors, comment c'était ? demanda Vic.
— Charmant, répondit Constance, avec son habituel tact.
— Quand tu dis « charmant », tu veux dire que c'était chiant à en crever, que tous ces cons de la haute et leur conversation à plusieurs chiffres étaient à gerber, ou bien que ta sieste entre l'entrée et le plat était charmante ?
— Je ne me suis pas assoupie ! Ce n'est arrivé qu'une seule fois, je te rappelle.
Constance porta les mains à ses joues qui rosissaient déjà d'embarras en se souvenant de ce jour où elle avait somnolé au restaurant. Comment lui en vouloir ? À sa place, Vic aurait passé son temps à dormir, assommée par les conversations barbantes. Ou à s'empiffrer. Ce que Constance ne faisait pas. Jamais. Malgré toutes ces années, libérée de la maladie, elle gardait toujours le contrôle.
— J'espère que tu n'as pas bavé dans ton assiette. Ou pire, sur l'épaule de ton voisin !
— Tu ne prends jamais rien au sérieux ! Quand est-ce que tu vas devenir une adulte ?
Constance s'empara d'un des coussins du canapé et le lança en pleine tête de Vic. Sous le choc, son chignon bascula sur le côté. Sa meilleure amie partit dans un fou rire qui lui fit monter les larmes aux yeux.
— Ah oui, et qui fait l'enfant maintenant ? rit Vic en lui jetant le coussin.
— Les filles ! appela Constance. Maman a besoin d'aide pour faire sa fête à tata Vic !
— Ah c'est comme ça ! s'exclama-t-elle alors que déjà des cris retentissaient dans le couloir.
Vic se retrouva en moins de deux allongée sur le canapé, les petites mains de ses nièces la chatouillant pendant que leur mère la tenait.
— D'accord, c'est bon ! Vous avez gagné ! Je me rends !
— Est-ce qu'on peut lui faire confiance ? s'adressa Constance à ses filles.
Deux paires d'yeux bleus pétillants scrutaient Vic derrière des mèches d'une blondeur irréelle. Ella, la plus mesurée des deux, lui sourit en serrant sa petite main dans la sienne.
— C'est tata Vic, maman, dit-elle de sa voix douce.
— Elle nous a déjà roulées, rétorqua Diana, plus ferme et intransigeante.
Ella hocha la tête :
— Dans la farine, comme des sardines.
Les jumelles échangèrent un regard complice et firent signe à leur mère de se rapprocher afin qu'elles puissent lui chuchoter un mot à l'oreille.
— Très bonne idée, déclara Constance un instant plus tard. Vic, après concertation du haut conseil, ton châtiment a été prononcé : tu devras passer la nuit ici et obéir à nos ordres.
La douce Ella rougit un peu tandis que son double, Diana, attendait la tête haute.
— Qui suis-je pour contester les décisions du conseil ?
— Ouais !
Les nièces se précipitèrent dans les bras de leur tante.
— Tu dormiras avec moi.
— Non, avec moi, et maman fera des crêpes.
— On a de la chantilly, celle que tu aimes. Et de la confiture de fraises.
— Tata Vic aime pas la confiture, c'est toi qui l'aimes, Ella. Et tata dormira avec moi.
Vic les serrait contre elle à les étouffer, comme si elle pouvait les absorber, sous le regard attendri de leur mère.
— Tu vois, glissa Constance à sa meilleure amie, à la fin, c'est toujours l'amour qui gagne.

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La fille au sac de plumes
General FictionVic, 28 ans, vit en Haute-Savoie, au bord du lac d'Annecy. Un jour, elle voit sa vie basculer lorsque son frère, sa femme et leurs jumelles décèdent tragiquement. Après des mois passés à faire la fête avec des inconnus pour oublier, Vic décide sur u...