Elle passa les poils du pinceau propre sur sa joue avant de se dessiner une moustache imaginaire. Elle fit craquer les articulations de ses doigts, s'attacha rapidement les cheveux, ferma les yeux et trempa son pinceau dans un pot de peinture. Elle rouvrit un œil, puis l'autre et sautilla d'excitation en voyant la couleur que le hasard avait choisie. Elle inspira profondément et enfin, posa son pinceau sur l'immense toile vierge qui lui faisait face. Elle étala le bleu sans trop réfléchir, et lorsqu'elle jugea que c'était suffisant, elle rinça sa baguette et la plongea dans un autre pot.
Dehors, le brouillard s'était peu à peu effacé, laissant apparaître le ciel dans toute sa splendeur.
Le bleu fut suivi du vert, le vert du jaune, le jaune du rouge, et ainsi toutes les couleurs y passèrent.
Elle recula d'un pas pour admirer son œuvre et trébucha sur le pot de violet. La peinture se répandit par terre ; ses pieds maladroits, à présent aubergines, cherchèrent un endroit sec et tombèrent dans l'orange. Amusée, elle renversa tous les pots, les couleurs se mélangèrent et elle s'en appliqua sur le corps. Son rire résonna dans la pièce bariolée, et il résonna jusqu'à ce que son regard se pose sur la toile. Elle se calma alors, esquissa un sourire satisfait et se remit au travail.
Ailleurs, les fleurs poussaient et les fruits mûrissaient. Le soleil brillait sur les ailes des papillons survolant la plaine. Une rivière peuplée de poissons suivait son cours, tandis que des nuages qui passaient par là arrosèrent le champ voisin.
Elle détailla son œuvre achevée. C'était beau, mais il manquait quelque chose. Elle se creusa la tête, se remplit le cerveau, mais rien ne lui vint. Le goût amer de l'incomplétude lui fit décrocher une grimace. Déçue, elle décida d'abandonner.
Avant de partir, elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. Le ciel, les fleurs, les fruits, le soleil, les papillons, la plaine... Par-dessus tout ça se superposait son reflet.
C'est là qu'une idée germa dans son esprit. Une idée folle mais ô combien alléchante, une idée qui gâcherait son travail mais qui ferait disparaitre ce goût écœurant.
Elle s'approcha lentement de la toile, récupéra son pinceau qui trainait au sol et, la main tremblante, elle peignit ce qu'elle avait vu sur la vitre.
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