I.

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Douze ans plus tard.

Il était trop tard... Ou bien trop tôt, je ne savais plus. Les médecins allaient encore devoir me planter cette aiguille dans la peau. J'attendais depuis plus de 1h dans l'étroite salle blanche, allongée sur un lit d'hôpital. Enfin ils arrivaient, portant tout deux une valise argentée, contenant les produits qu'ils allaient m'injecter.
Quand je sortis de la salle, Melody vint vers moi et m'emmena dans notre Secteur. Elle me fit à manger et Demi arriva à son tour.
Lorsque le repas se termina enfin, après un silence sans fin, je sortis sans le parc. Mes vêtements sombres se fondaient dans la noirceur de la nuit. J'avais hâte d'avoir 16 ans. Et demain, je pourrai enfin quitter cette île. Plongeant mes mains dans mes poches pour me réchauffer, je me laissai glisser le long d'un mur, imaginant la ville. Je ne l'ai jamais vue, pas même en photo. Melody a un appartement là-bas, et nous resterons à ses côtés jusqu'à trouver un travail et un logement.

***

Allongée sur le lit, les yeux grands ouverts, je lisais le livre flottant au dessus de ma tête. Quelqu'un toqua à la porte et je rangeai le rangeau, ouvrant la porte. Melody apparut sur le seuil de la porte avec deux énormes valises dans les mains. Je réveillai Demi et nous commençâmes notre valise.
- Gardez deux tenues, nous dit Melody, une pour aujourd'hui, et une pour demain. Nous partons ce midi, habillez-vous rapidement.
Je me vêtis d'un simple sweat noir à capuche, un jean noir ainsi que des baskets de sport. Vers 12h, nous embarquâmes à bord d'une barque qui nous conduisit jusqu'à la rive où une voiture noire nous attendait. Au moment de monter, je me retournai et regardai une dernière fois Elroy Island, l'endroit où j'ai résidé toute ma vie. De loin, l'île paraissait minuscule. Le reflet des différents bâtiments arrivait jusqu'à nos pieds. Je n'ai eu besoin de dire au-revoir à personne. Je n'avais pas vraiment d'amis ; j'étais la fille que tout le monde jugeait sur son caractère rebelle et son style original.
- Eh... me chuchota Demi. Ça va ? Il faut y aller...
- Ouais, j'arrive.
Je montai enfin dans la voiture sombre et nous partîmes de cet endroit. 

Au bout de quelques minutes, nous atteignîmes un minuscule aéroport. Le temps de faire monter nos affaires dans le petit avion, nous étions déjà installées sur les sièges bleus. Je ramenai mes genoux contre ma poitrine, relevai la capuche de mon sweat sur mes cheveux noirs et collai ma joue contre la vitre ronde. Je fermai les yeux l'espace d'un instant mais Demi m'appela. Elle tentait de se fait des doubles tresses africaines. Ses cheveux roses bonbons étaient en pagaille, et elle tentait vainement de les séparer en deux. Alors que je lui tressait ses mèches colorées, elle me dit :
- Qu'est-ce que tu aimerai faire une fois là-bas ?
- Je ne sais pas. J'attendrai de voir ce qui se passe.
- Moi j'aimerai tellement devenir chanteuse ! Tu m'imagine, sous les projecteurs, la foule m'acclamant, et moi chantant à m'en casser la voix !
Il est vrai que Demi avait un talent de chanteuse très prononcé. Elle passait son temps à chanter sous la douche ou en se coiffant.

***

- Mesdames, Messieurs, nous arrivons dans quelques minutes. Veuillez regagnez vos sièges et attacher votre ceinture.
La voix du steward me réveilla soudainement. Je regardai par la fenêtre et laissa échapper un souffle : le paysage était époustouflant. De haut, on pouvais apercevoir un immense fossé dans le sol où les personnes était tellement nombreuses qu'on aurait dit un essaim d'abeilles. Au dessus de ce trou, planait la ville. Palaka. Une immense ville recouverte d'une vitre épaisse suspendue au dessus du sol et retenue par des énormes câbles. L'avion descendit sous la machine volante et atterrit sur une sorte de petite ville.
- Pourquoi on ne va pas à Palaka directement ? demanda Demi. 
- Il nous faut d'abord passer par la sécurité, répondit Melody.
- Que font tous ces gens ? demandai-je en faisant allusion aux énormes foules. Pourquoi sont-ils en bas ?
- Ce sont des migrants. Ils fuient leurs villes pour venir ici. C'est l'endroit où tout le monde est utile.
Ils nous firent sortir et un homme armé d'une dizaine de gardes baraqués nous accueillit. 
- Bonjour Monsieur Austin, dit Melody en serrant la main de l'homme.
- Madame Warner. Alors, où sont nos E.E.M ?
Je fronçai les sourcils.
- Enfants à l'Embryon Modifié, murmura Demi. C'est nous.
L'homme s'approcha de nous et nous toisa de la tête aux pieds.
- Bonjour Mesdemoiselles, dit-il au bout d'un moment. Comment vous appelez-vous ?
- Je m'appelle America, dis-je.
- Et moi Demi.
- Je suis James Austin, le représentant des E.E.M, se présenta l'homme. Je suis chargé de m'assurer que vous êtes bien arrivées et que vous reprenez une vie normale au sein de la population. Suivez-moi, nous allons prendre l'ascenseur.
Il nous conduisit jusqu'à une pièce où de longues files se postaient devant les portes métalliques. Un seul ascenseur n'était pas utilisé et gardé par deux hommes en costume. M. Austin leur montra sa carte d'identité et nous montâmes dans la pièce grise, sous les regards assassins des migrants.
L'ascenseur n'avait pas de fenêtre, et nous étions debout dedans pendant une bonne demi-heure. Nous débouchâmes dans un grand garage sans porte, où seule une voiture noire était propriétaire. Il nous fit monter dedans et à ma grande surprise, le sol se déroba et laissa apparaître une longue route sombre. La voiture démarra et roula à une vitesse époustouflante.

***

- Enfin arrivées !
Je m'écroulai sur un grand lit et ferma les yeux.
On avait roulé pendant plus d'une heure sous terre et quand on étaient ressortis on ne voyait plus rien. Puis ils nous ont fait monter dans un hélicoptère et déposés sur le toit d'un immeuble. On était tellement épuisés qu'on ne parvenait même pas à regarder le paysage.
Melody nous avait dit de choisir une chambre dans l'appartement et j'avais pris la première venue : une grande pièce simple munie d'un placard, un lit et une table de nuit. Il était tard et nous devions dormir.

Je regardai à travers la fenêtre : les grand buildings se dessinaient par dessus le ciel bleuté. J'enfilai un t-shirt et des chaussettes hautes et me rendis dans la cuisine. Demi et Melody étaient assises sur les chaises autour du bar, mangeant leurs céréales.
- Coucou America ! dit joyeusement Demi. On était en train de parler des métiers qu'on va devoir chercher.
Je hochai la tête et m'assis lourdement sur un tabouret.
- J'ai trouvé un producteur, il faudra que je l'appelle, continua-elle. 
Je pris un verre de jus d'orange et jetai un coup d'œil sur l'ordinateur qui trônait entre les tartines et les confitures. Des dizaines de postes libres étaient affichés sur l'écran. 
Je me levai et allai m'habiller. Je mis un cargo pants noir, un col-roulé vert fluo à manches longues, des baskets blanches à semelles épaisses ainsi qu'une banane noire. Quand je revins dans le salon, Demi était en train de chanter et Melody la filmait avec son téléphone. Ma nourrice me donna un téléphone semblable au sien ainsi que de l'argent et m'autorisa à sortir, mais pas très loin. 
Arrivée en bas de l'immeuble, j'inspirai un grand coup : j'étais enfin sortie de Elroy Island. 
L'État  a depuis longtemps engagé un scientifique appelé Elroy Rodriquez pour créer une génération supérieure. Il a donc fait des expériences et a réussi à faire ce qu'il voulait : modifier un embryon pour lui donner des capacité sur-humaines. Et l'État a continué ce processus sur une centaine d'enfants qui ont aujourd'hui de 1 an à 17 ans. Tous ces enfants sont regroupés par paire et élevés dans un laboratoire où les scientifiques continuent d'exploiter leurs ressources sur-humaines. Et parmi ces centaines d'enfants, il y  moi et Demi. Je considère d'ailleurs celle-ci comme ma sœur comme nous avons été élevées ensemble par Melody Warner, jeune femme travaillant dans ce laboratoire. Tous ces enfants sont élevés dans un coin éloigné de la ville, sur un lac, comme dans un centre, une école. Ce centre appelé Elroy Island se situe sur le Lac Gleaming. Je suis donc une E.E.M, une Enfant à l'Embryon Modifié.


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