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Quand j'ai vu le banc au loin, j'ai commencé à être stressé. J'avais passé une bonne semaine, très intéressante, mais je n'avais pas envie de le revoir.

Je suis arrivé premier dans la clairière, mais moins de cinq minutes après, Bleg y entrait à son tour. Il était à nouveau capuché et cette fois, il ne l'a pas retirée. Pour moi, c'est pas plus mal. Au moins je n'ai pas à affronter son regard brillant de cette lueur perverse. Déconcertant.

- Alors ? m'a-t-il simplement demandé en prenant place à l'autre bout du banc. J'ai nerveusement passé ma main sur mon front, dans mes cheveux, puis grattouillant la peau de ma nuque.

- J'ai trouvé tous les camps. Un par jour. Jusqu'au n°4. Euh, inclu. ai-je répondu d'un rapide débit.

- Tu as fait des rapports ?

- Oui.

Je lui ai tendu les sept feuilles arrachées de mon carnet.

- Tu as été voir ton propre camp aussi ?

- C'était le plus facile.

- Bien. Voyons ce que tu as écrit...

Il a feuilleté les pages pleines à craquer de mes notes. J'étais un peu déçu de ne pas pouvoir les garder ; elles auraient fait de précieux documents en vue d'arrêter ce trafic. A l'avenir je penserai à me faire un résumé de chaque semaine, que je garderais pour moi.

- Pas mal. Pas mal du tout. Tu as trouvé tous mes bicraveurs, c'est bien. Et tu as su capter l'ambiance générale de chaque camp, et l'avancée de leurs chantiers. Mais il faudrait que tu synthétises plus, là j'ai beaucoup trop de détails inutiles.

Ma parole, on se croirait dans une salle de classe lors d'un cours de français sur la dissertation !

Devant mon regard perplexe, il a poursuivit :

- Là par exemple, pour le camp n°5, je m'en fous un peu de savoir que le potager est tenu par deux filles incompétentes ! Relève-moi juste la présence d'un potager, point.

L'ombre de son capuchon ne m'empêchait pas de distinguer l'éclat froid de ses pupilles. Je ne savais pas quoi répondre, j'étais pétrifié. Bleg a du le percevoir, car il a ajouté :

- Ça reste du bon travail malgré tout. Bon, cette semaine tu vas devoir dormir hors de ton camp. Je veux que tu me fasses une expédition de quatre jours pour les camps deux et trois, puis une de trois jours consacrée au camp n°1. On se voit entre les deux.

- Et comment je serai couvert dans mon camp ?

Une drôle d'expression est passée sur son visage, comme si ma question le surprenait.

- Je m'en charge. J'ai rendez-vous avec Rayan et Charlie ce midi, on te trouvera une excuse ensemble.

- D'accord.

Vu qu'il est resté silencieux, je me suis levé, m'apprêtant à partir.

- Kaïon...

- Oui ? ai-je dis en me retournant, surpris.

- Attends." Il a fouillé dans son sac à dos avant d'en sortir un petit sac en toile manifestement bien rempli et il me l'a tendu. "J'imagine que tu n'as pas de réserve de nourriture, alors tu en auras besoin, a-t-il ajouté avec son traditionnel sourire en coin. "Pense juste à me ramener les bocaux."

J'ai pris le sac. Il me fixait droit dans les yeux avec un regard insistant, j'étais très mal à l'aise. Je me suis hâté de rentrer au camp.

*

Le lendemain, je me suis levé tôt, conformément aux indications que Charlie m'avait donné. Je m'étais rendu dans leur chambre la veille au soir pour discuter de mon alibi de ces prochains jours, et Charlie avait trouvé la solution parfaite : Suzannah, la jeune femme autoritaire qui dirigeait l'équipe de recruteurs par laquelle nous avon été capturés, William et moi. Elle était toujours portée disparue, et personne n'avait la moindre idée d'où elle pouvait être. Rayan et Charlie n'auront qu'à dire à Garry, quand il se rendra compte que je ne suis pas revenu moi non plus, que j'ai relevé sa trace et que je me suis lancé sur sa piste ! Mais on ne devait pas me voir partir, voilà pourquoi j'ai quitté le camp aux petites heures.

J'ai pris soin d'emporter dans mon sac à dos un t-shirt et des sous-vêtements de rechange, deux litres d'eau, les bocaux de nourriture que m'avait laissé Bleg (l'un contenait de la compote de pommes, l'autre des petits pois carotte et le dernier du rollmops. Je n'avais aucune foutue idée de la manière dont il s'était procuré tout ça !) ainsi que plusieurs noix, figues, et notre pot de miel ; le vieux plaid qui me servait de couverture au camp, et le peigne de William. Ne pas me laver ni le corps ni les dents pendant quatre jours passe encore, mais je mettais un point d'honneur à garder des cheveux bien brossés.

Ce furent quatre jours pour le moins éprouvants. Pourtant, j'aimais bien dormir à la belle étoile, enroulé dans mon plaid et sous un épais sweat-shirt. Je dormais peu, certes, mais je dormais bien. Je me suis même découvert une facilité à grimper dans les arbres et à m'y assoupir sans en tomber. Mais mes vêtements se sont salis trop vite, mes réserves de nourritures baissaient trop rapidement, et au matin du troisième jour, je vidais déjà la dernière goutte d'eau de ma gourde. Depuis le camp n°2, près duquel j'avais passé la nuit, j'ai marché près de deux heures avant d'atteindre la source de mon ruisseau-repère. J'étais assoiffé. Je me suis mis à quatre pattes pour tremper mes lèvres dans le mince filet d'eau. Je ne savais pas si elle était potable, mais je m'en fichais : jamais l'eau ne m'a paru avoir si bon gout ! En remplissant ma gourde et ma bouteille, j'ai jeté un œil aux alentours de la source, et j'ai souri : à moins d'un mètre reposait un tapis entier de capucines.

*

Bleg ne m'a presque pas parlé lors de notre réunion suivante. Il s'est contenté de lire mes notes vite fait avec des petits "humm" pour tout commentaire, et à repris ses bocaux vides avant de me dire "à dans trois jours". J'étais un peu déçu, mais je me disais que c'était probablement à ça qu'allaient ressembler la plupart de nos rendez-vous désormais. Et tout compte fait, c'était pas plus mal.

*

Les trois jours suivants, consacrés à l'espionnage du camp n°1 ressemblèrent fort aux quatre précédents. Si ce n'est que cette fois, j'étais mieux préparé. Je gérais mieux mes réserves d'eau et de nourriture, mon temps de marche et mon temps de repos. Près du ravin que m'avait indiqué Bleg, j'ai trouvé plusieurs buissons qui portaient des fruits : des mûriers, un groseillier et même un petit myrtillier. Je ne me suis pas gêner pour en prendre un maximum.

En gravissant la pente rocailleuse de la butte au sommet de laquelle se trouvait le camp n°1, j'ai pensé à William pour me donner de la force. Son visage, au moment où je lui ai tendu le petit bouquet de capucines, restera longtemps gravé dans ma mémoire. Une expression de joie mêlée à de la surprise et à de l'excitation ; un cocktail d'émotions que je n'avais pas vu chez lui depuis longtemps. Sa réaction m'avait mis la baume au cœur, et ce soir-là, nous avions dégusté des capucines au miel en rigolant. J'ai soupiré ; il me manquait.

*

Bleg m'a accordé tout aussi peu de temps qu'à notre rendez-vous précédent. J'ai décidé d'arrêter de me tracasser à son sujet et de me concentrer sur ma nouvelle fonction d'espion.

Je ne pouvais pas prévoir (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant