L'éveil des sens

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Léonardh se réveilla.

Les troncs de Yalo se déracinaient les uns après les autres. Ce bois souple était le plus fragile d'entre tous quand venait l'hiver. C'est pour cette raison que Léonardh en avait fait son gagne-pain. Il était pourtant un piètre bûcheron, ce qui lui valait les railleries quotidiennes des habitants de Quatre-Vents. En revanche, il était l'un des meilleurs alpinistes de la vallée de Sircillon. Personne ne le contestait, peut-être était-il d'ailleurs l'un des meilleurs de toute la Contrée Blanche. Et comme aucun autre bûcheron du village n'était aussi fou pour s'aventurer dans ces montagnes, il avait trouvé un bon compromis pour gagner sa vie.

Mais cette nuit, sa quête était radicalement différente : tuer la bête assassine, terrée dans les montagnes depuis bien trop longtemps.

En cette saison humide, les vents d'hiver avaient la force de dix bisons rouges et la froideur des eaux glaciaires. À travers la nuit, les craquements d'écorce, couplés aux flanquements des racines et aux frémissements des branches épineuses, fuyaient à travers les dédales boisés des montagnes trop nombreuses. Ils atteignaient avec violence le petit écrin rocheux, creusé dans le versant, dans lequel Léonardh s'était assoupi une heure durant.

Le bûcheron sangla son sac, reprit sa hache et l'embrasa à son extrémité avec les dernières flammes qui ondulaient encore sur les fagots de bois. Enfin, il s'extirpa du ventre caverneux.

Le sentier enneigé était très étroit. Une petite partie de ses bottes surplombèrent l'immense vide de deux mille planches de hauteur creusé entre les versants. Dans le ciel, l'œil d'Iris s'était éclipsé depuis longtemps. Plus tôt, les liserés bleus qui avaient merveilleusement étoffé la journée avaient laissé place à un drap orangé, celui du crépuscule naissant. Puis le passage à la nuit avait été éphémère ; le plafond céleste était désormais tapissé d'un velours noir parsemé d'étoiles fines. Seules les deux lunes – Federiola et Leïo – projetaient des lueurs affadies à travers les cimes des arbres aux troncs fièrement dressés.

À nouveau, un Yalo se déracina. A travers l'épaisseur du brouillard venteux, on ne distinguait rien. Ces vents pourraient transporter la respiration d'un insecte ! Puissantes, les bourrasques jetaient un voile de givre blanc dans la nuit noire, rendant invisible toute chose à plus de cinquante pas. C'est pour cette raison que Léonardh ne perçut le tronc qu'au dernier moment.

Voler. Au-dessus du vide. Droit vers lui.

L'arbre se fracassa sèchement sur le rebord du sentier. Le bûcheron eut le temps de l'esquiver, mais il reçut tout de même des éclats d'écorce dans les jambes. « Par les Quatre-Vents ! », jura-t-il pris de panique.Puis il se figea.

Au loin, il le vit : le fléau de Quatre-Vents. La bête assassine. Ce pour quoi il était là, à braver les souffles de la tempête, lesquels laissaient présager un gel solide comme de la roche quand le ciel jauni du petit matin ferait son apparition.

Des yeux ocre, perçants, sur l'autre versant, le regardaient avec intensité. Lumineux comme des braseros, ils dévoilaient un pelage gris luisant, fracturé par quelques poils plus sombres. Surtout, ils laissaient deviner une gueule plus puissante qu'une meule. « Le voilà, le Rôdeur de Givre. Le dernier. » Léonardh n'était pas apeuré. Par le passé, il avait déjà combattu ces bêtes avec ses camarades de guilde. Mais jamais seul... Au moins était-il à l'abri. La bête ne sauterait pas au-dessus du vide. Pas encore. Pas tant que les vents ne se seront pas calmés.Mais quand ils le seront... Elle ne fera qu'une bouchée de moi : il est donc temps.

Le Rôdeur poussa un râle terrible. Le combat était lancé. Hache enflammée et cordes suspendues à son sac, le bûcheron entama l'escalade de la roche humide, balayée par les vents. Le quadrupède aux crocs tranchants comme du silex l'obligeait à encourir ce risque ; il n'était pas idiot, loin s'en faut.

Leonardh et le Rôdeur de GivreWhere stories live. Discover now