Quand il se présenta à l'orée du petit bois, il éteignit sa hache. Plus haut désormais, Federiola et Leïo éclairaient suffisamment ses pas, se répercutant sur la neige tombée au sol à hauteur de cheville. Les vents jetaient toujours un voile blanchi : idéal pour demeurer discret, malheureux pour savoir où poser les pieds.
Léonardh avait choisi ce lieu pour attirer la bête. Il y avait à cela une raison bien précise. Il s'échina donc à vagabonder entre les arbres, encore et encore, tentant de discerner la seule et unique essence différente des autres.
Enfin, il distingua l'arbre de Ramastih. Fixe, rigide, beau, il resplendissait. Au beau milieu des Yalo qui craquaient, il émanait de lui quelque chose de mystique. Peut-être était-ce dû aux rais lunaires qui venaient se déposer sur son écorce couleur crème, délaissant les autres troncs dans une obscurité anonyme, ou était-ce sa rigidité qui détonnait quand, étrangement, les Yalo convulsaient sur leurs racines sous l'effet des vents.
Beaucoup prétendaient que le Ramastih était l'œuvre de Narilön. Léonardh n'était pas croyant, mais sa fascination pour cet arbre l'avait maintes et maintes fois questionné sur l'existence d'Êtres supérieurs. Le Ramastih était aussi solide que de la roche. Il se protégeait des flammes une fois enduit de sève et d'huile. Autre atout, il se régénérait sur lui-même très rapidement. Pendant la guerre, il avait été très convoité par la guilde.
Mais le prince ennemi en avait brûlé la quasi-totalité, puis, en guise d'appât, il en avait conservé seulement trois dans les montagnes. Aussi avait-il apprivoisé puis entraîné dix Rôdeurs de Givre à leur défense. Bravant les nuits d'hiver comme celle-ci, affrontant les quadrupèdes assassins, Léonardh et la guilde avaient été les artisans de la résistance face à l'oppresseur. Armes, murailles et boucliers avaient pu être ainsi confectionnés dans tous les villages, de part et d'autre des montagnes, au prix de lourdes pertes dont la Contrée Blanche ne s'était jamais vraiment remise.
Léonardh s'attaqua à l'écorce en même temps que les vents se furent apaisés. Préparer sa défense pour mieux envisager l'attaque, telle était sa devise. Mais pour abattre un arbre d'une telle ampleur et d'une telle solidité, il fallait plus d'un bûcheron ; cinq suffisaient à peine.
Tant pis, pour le morceau désiré, il devrait pouvoir s'en tirer.
Mille respirations plus tard et l'écorce commençait à peine à se délier du tronc. Pourtant, Léonardh y portait des coups très lourds. Simplement, il était inefficace. Un piètre bûcheron, voilà ce que je suis !
À ses pieds, la lumière des deux lunes fut soudainement obscurcie. Quelque chose de très léger pour quiconque ne serait pas sur ses gardes. Mais lui l'était. Alors, il leva les yeux. Il ne vit rien. Il ne sentit rien.
Mais il entendit.
Depuis le mont opposé, le Rôdeur de Givre s'était élancé dans le ciel. De l'intérieur de sa gueule aux crocs sclérosés à son museau solide et jusqu'à ses oreilles fines, légèrement dorées, il enrageait à l'idée de dévorer le petit humain qu'il ne distinguait pas encore. Son pelage argenté scintilla sous les lunes avec autant de vigueur que mille pierres précieuses.
Léonardh redoubla d'efforts contre l'arbre. Vite, plus vite !Les coups étaient moins lourds, plus rapides et encore moins précis. Et le clair-obscur refit éclat. Il savait que la bête était là, quelque part.
Il délaissa son sac, puis il prit l'épée sans lâcher sa hache. Les coups portés à l'arbre risqueraient de le faire repérer, aussi préféra-t-il en abandonner sa coupe. La nuit prenait une sale tournure. Le Rôdeur avait avait amorti sa lourde carcasse sur le rebord du plateau. Avec ses deux pattes avant, piliers musculaires aux griffes aiguisées, emporté par son élan et par sa rage, il arrachait déjà à la seule force de ses crocs les premiers troncs qui le séparaient de sa proie.
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Leonardh et le Rôdeur de Givre
Short StoryPar une froide nuit d'hiver, un courageux bûcheron entreprend une funeste quête.