DIGITAL INC. - Société libre

Chapitre 1 - Conférence

2021-Nanterre

Le palais des congrès de Nanterre était plein à craquer. La scène restait désespérément vide laissant livré à lui-même, un pupitre de bois surmonté d'un micro noir couvert d'une mousse permettant d'éviter les effets de souffle. En arrière-plan, un drapeau français jouxtait une affiche déclinant fièrement le logo de l'entreprise DIGITAL INC. Le choix des couleurs avait été fait par le service communication de la société et, après des dizaines de réunions, s'était accordé sur un ton vert pâle censé donner une impression de naturel et d'espoir.

Au premier rang, on pouvait voir le premier ministre qui agitait sa jambe de manière compulsive laissait entrevoir une certaine impatience, voire de la nervosité. Les membres de son gouvernement, qui avaient pris place à ses côtés, ne semblaient pas plus calme. Il faut dire aussi que cette conférence, qui avait été annoncée il y a déjà plusieurs mois, avait fait l'effet d'une bombe. Le sujet abordé était attendu par le pays tout entier. On pouvait voir des journalistes qui, par manque de places , s'affolaient à l'entrée et jouaient des coudes pour essayer d'entrevoir le moindre mouvement aux abords de la salle. Les quelques insultes qui fusaient entre eux, traduisaient le vif intérêt d'une population tout entière. Ceux qui avaient eu la chance de recevoir une invitation, avaient monté un véritable studio d'enregistrement à l'intérieur du palais. Une installation digne d'un mariage princier. La foule était venue en masse et du notable à l'ouvrier, le sujet touchait l'ensemble de la société. Ce soir-là, le pays semblait à l'arrêt, à l'instar d'un soir de finale de coupe du monde.

Un grand silence envahi la salle lorsque les lumières du complexe se tamisèrent. Un seul spot restait figé, centré sur la scène. Un éternuement soudain vint couper les quelques chuchotements qui parcouraient les rangs des spectateurs. La scène s'éclaira d'un coup. Au son d'une musique grandiloquente à la manière d'un show américain qui, malgré tout, gardait un goût de spectacle à la française, les lumières parcouraient la scène dans une danse censée dynamiser l'ensemble. Les yeux des spectateurs restaient rivés, droits devant eux, à la recherche du moindre mouvement.

Plusieurs personnes firent leur entrée sur scène. L'un d'eux, de grande taille, était affublé d'un costume gris taillé sur mesure. Il s'installa au pupitre. Les autres, qui se tenaient à ses côtés, présentaient des visages graves et crispés. Tout le monde pouvait alors ressentir l'importance de cette conférence. La musique d'ambiance laissa alors place à un silence lourd et impatient.« Costume gris » pris la parole. Il commença par remercier l'ensemble des personnes présentes ainsi que l'organisation. Il salua la présence du gouvernement qui le regardait d'un air méfiant mais, néanmoins, captivé. Après cette brève introduction qui combla les susceptibilités des membres les plus égocentriques de l'auditoire, il tendit son bras droit et annonça enfin l'entrée de celui que tout le monde attendait :

- « Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous présenter le créateur et dirigeant de la société la plus novatrice de ces deniers siècles, celui dont la créativité, celui dont le génie et l'originalité va permettre de changer le cours de l'histoire : Monsieur Mathias MARTENS ! »

La musique reprit de plus belle et les applaudissements raisonnèrent à travers la salle. Un homme plutôt grand, de corpulence frêle mais d'une stature naturellement présente, entra sur scène. De son pas décidé transpirait une personnalité complexe et bouillonnante. Il portait un pantalon de toile enduite de couleur noir, une chemise simple mais élégante dont le ton blanc cassé traduisait la volonté de passer inaperçu.

Ses yeux parcoururent le public mais ne s'arrêtèrent sur personne en particulier. De ce que l'on savait, M.Martens était assez solitaire. Certains spécialistes l'avaient même catalogué d'autiste. Quelques sorties dans la presse lui permettaient de ne pas passer pour un associable mais elles étaient rares. Jamais on ne le vit dans une soirée mondaine. On le disait dévoué entièrement à son projet et insensible à la mégalomanie. Son entourage, composé de pros de la communications, de conseillés commerciaux et d'un comité d'administration, le guidait dans ce labyrinthe médiatique.