Il m'est apparu la première fois dans un rêve. Le visiteur de mon inconscient, mon guide, le corbeau blanc. Ses plumes couleurs opale réfractaient tout de la lumière ambiante, et dans ses yeux se déployaient une myriade infinie de couleurs que je ne saurais nommer.
Cet intru était porteur d'un message. Il disait détenir la clef qui ouvrirait la porte à un moi plus grand, loin des préoccupations mortelles. Je ne saisis pas ce qu'il voulut dire. D'un violent battement d'ailes il s'en alla, laissant derrière lui un morceau de papier pour moitié calciné. Je me baissai alors pour le saisir et brutalement tout se mit à bouger autour de moi. La pièce dans laquelle je me trouvais se changea en sentier, puis en avenue, puis en route, avant de ne devenir qu'une surface liste marquée de lignes. Sur le papier ; « Julie. Julie. Cours, et retrouve moi, retrouve... ». La suite n'était plus lisible.
En me réveillant le lendemain l'odeur de brûlé me permis d'attirer mon intention sur quelques cendres non loin de mon bureau. Bizarre. Je me souvins alors subitement d'un oiseau blanc. Un corbeau, oui. Et d'un message.
Aujourd'hui je déciderai d'aller à la fac à pieds. Sur le chemin je senti peser sur moi le regard de toute une foule, mais les seules personnes en vue sont trop rares pour une telle sensation. Le chemin commençait à devenir beaucoup trop long à mon goût. Puis ils se montrèrent. Les corbeaux. Ça commençait sérieusement à faire beaucoup de coïncidences. Je me précipitai dans le bâtiment de mon école le plus proche.
Et même si l'envie de rentrer à pieds se faisait sentir ; je fis appelle à mon père pour rentrer en voiture ce soir-là. La nuit fut agitée comme la dernière. Une image se fit plus net dans ma tête. Un portrait pour être précise. Le profil d'une jeune femme, certes flou mais dont les traits étaient reconnaissables. Et un prénom balancé en écho à mes tympans. Julie. Julie, dont je dois me souvenir.
Julie, me dis-je ce matin en ouvrant les yeux. Je dois te retrouver. A ma fenêtre, un corbeau m'observait. J'avais toujours de plus en plus en moi cette envie de marcher. Tant pis pour ces stupides volatiles, ce matin je marche. Et je marchai jusqu'aux portes fermés de ma fac. Etrange.
Puis soudain le terme sur le panneau d'entrée changea. Plutôt que « conférence à 14h sur la gestion du budget de l'association de la fac » on pouvait y lire « conférence dans deux étages sur l'ornithologie de nos régions ». Une mention en bas de l'affiche, à peine lisible, indiquait : Comprends-moi à travers eux, pitié, retrouve-moi ». Je fis un bond en arrière. Toutes les affiches alentours traitaient désormais d'oiseau ou d'ornithologie. Je pris le pari de rentrer aussi vite que possible chez moi.
Je courrais. Je courrais à en perdre le souffle, à ne plus, même, savoir pourquoi vraiment je courrais, à ne plus voir le paysage défiler devant mes yeux. Je courrais parce qu'il fallait courir, et que ceux qui refusaient de courir s'exposaient à de lourdes conséquences. Je crois ? Peu importe à vrais dire. Je me sentais bien.
Et peu à peu, sans que je m'en rende compte, mon corps entier sembla s'étioler en fine particules de poussière brillante. Ne subsistait plus de moi qu'une lumière violette instable. Je progressais comme ça dans ce décore qui avait perdu tout son sens. Et soudainement vint m'envahir une sensation de chaleur. Autour de moi la poussière s'était rassemblée en os, en nerfs, en muscles et en plumes pour former deux magnifiques ailes opales. Quand je pris consciences de la légèreté de mon propre corps les ailes se mirent à battre et mon cerveau laissa la lumière au corbeau lui-même.
- « Ton initiation est terminée maintenant, il est plus que temps que tu partes à son secoure »
Puis toute trace de l'esprit du corbeau s'évanouit. Je voyais désormais mieux son visage. Son visage si familier et pourtant inconnu. Ce visage implorant qu'on l'exécute plutôt que l'on ne lui laisse endurer ce qu'il endure. Oui, il est de mon devoir d'aller la secourir.
