Chapitre 3

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Les marches de l'escalier grincent. Des chaussettes en laine râpent le bois. Une fine silhouette émerge dans la pièce à vivre.

— Lola ! clame Mathilde depuis le fauteuil près de la cheminée.

Bien que personne n'y soit installé, la table à manger est recouverte de nourriture en tout genre : brioches, céréales, viennoiseries, au milieu d'assiettes qui s'empilent et de tasses de chocolat chaud ou de thé noir, le tout dans un joyeux désordre qui donnerait le sourire à la jeune femme si elle ne détestait pas autant les réveils.

— Oh, salut ! Tu t'es bien reposée ? demande Maxime depuis la cuisine.

L'endormie hausse les épaules. Son carré brun d'habitude lisse et parfait est perturbé par quelques mèches sorties du rang. Bien au chaud dans un épais pull rose pâle, elle semble perdue.

— Salut, grommèle-t-elle.

Puis ses yeux s'écarquillent tandis qu'elle hume l'air.

— C'est moi ou ça sent le jus d'orange ? Le jus d'orange frais ?

Maxime et Mathilde échangent un sourire de connivence et le visage de Lola s'illumine.

— Où qu'il est ce jus d'orange ? s'écrit-elle d'une voix enfantine en se ruant dans la cuisine.

Maxime s'écarte dans un éclat de rire pour qu'elle atteigne, toute trace d'hébétude envolée, le plan de travail où trône l'objet de sa convoitise.

Trois belles oranges reposent à côté d'un pressoir manuel. Un tas de pelures jonche le comptoir et, juste à côté, un pichet en verre contient le fameux élixir aux agrumes. Lola se frotte les mains, un large sourire éclairant son doux visage.

— Maxime, je bénis la bonté de ta mère, déclare-t-elle.

Elle ouvre un placard, fronce les sourcils, le referme, en ouvre un autre, sourit, tend son bras, attrape un verre, le pose sur le comptoir, referme le placard. Et, avec une précieuse délicatesse, elle verse le jus dans le récipient.

Au même moment, quelqu'un d'autre débarque dans le salon.

— Bonjour les copaines ! Comment allez-vous ?

Lola manque de renverser le verre qu'elle portait à ses lèvres et s'exclame :

— Cerys ?

— Oh, salut Lola ! Ça va ?

La jeune femme hoche la tête, soudain incapable de choisir ses mots pour répondre. Cela fait si longtemps qu'iels ne se sont pas vu∙es, elle se sent tout émue. Mais elle ne peut certainement pas le lui dire, ce serait bizarre. Et puis le choc de la rencontre passée, le contexte la rattrape au galop. Que peut-elle répondre, de toute façon ? « Merci de te soucier de moi après ne m'avoir donné aucune nouvelle depuis deux mois ? » ou bien « Je suis absolument crevée alors que j'ai dormi dix heures et déjà sur les nerfs parce que devoir tout gérer me stresse, mais sinon ça va » ?

— Et toi ? parvient-elle à articuler en essayant de paraître enjouée.

De paraître normale.

— Je suis heureuse d'être là !

La franchise de son sourire læ transforme. Elle adoucit ses traits et fait fondre ses yeux chocolat. Lola s'est toujours fait cette réflexion, mais s'en est aussi toujours voulu d'avoir des pensées aussi... saugrenues.

Cependant, elle est rassurée de læ voir aussi décontracté∙e et enjoué∙e. En voilà au moins un∙e qui n'est pas stressé∙e. Et qui, avec un peu de chance, ne remarquera pas sa fatigue, sa mauvaise humeur et son trouble.

On tatouera notre jeunesse dans la neige ☃️ ÉDITÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant