Théophile mordilla la cigarette qui pendait entre ses lèvres, puis la balança dans la poubelle la plus proche, son skate sous le bras.
Une pluie fine s'abattait sur ses épaules, faisant friser ses cheveux déjà bien emmêlés par le vent qui soufflait sur la ville. Les gouttes d'eau ne transperçaient pas encore sa veste en jeans, mais le sol du skatepark était suffisamment glissant pour qu'il songe à mesurer ses accélérations et la hauteur de ses sauts. Si l'averse s'intensifiait, il serait peut-être obligé de porter les protections qu'il avait depuis longtemps mises de côté.— Eh, Wesco !
Un sourire fleurit sur ses lèvres lorsque la voix de Joachim lui parvint depuis le fond du terrain vague qui jouxtait le skatepark. Théophile l'aperçut plus loin, assis sur un muret avec deux autres skateurs. L'un s'était coloré les cheveux en violet et s'appelait Mario. Ils avaient quelques cours en commun. L'autre paraissait beaucoup plus jeune que les mecs que son meilleur ami fréquentait habituellement. Mais il était mignon. Joachim avait bon goût en matière de garçons.
Théophile leur adressa un léger signe de tête et fut accueilli en fanfare par le trio. Joachim daigna même sauter de son promontoire pour lui tapoter l'arrière de la tête. Sa chemise à carreaux bâillait sur son torse, dévoilant un t-shirt à l'effigie de Madonna.— T'étais où, Théo ? On t'a attendu tout l'après-midi...
— Contrairement à toi, j'ai pas séché le cours de littérature, trouduc'.
— T'aurais dû. On s'est fait chier comme des rats morts sans toi.Théophile ricana.
— C'est ça... Vous avez l'air.
— Je disais à Yan que tes sauts valaient le coup d'œil.Ledit Yan lui adressa un sourire embarrassé. « Vraiment mignon », songea Théophile. Ses yeux bleus tranchaient son teint basané et le blond lumineux de ses cheveux. Il était tout à fait à son goût. Si Joachim ne lui avait pas déjà mis le grappin dessus... Théophile secoua la tête. Ce genre de réflexions n'avait pas lieu d'être.
— Tu fais du skate, Yan ? lui demanda Théophile.
— Un peu.Théophile remarqua qu'il rougissait.
— ...Mais je ne suis certainement pas aussi doué que toi. J'ai vu tes vidéos sur les réseaux, c'est délirant !
— Merci, répondit Théophile en passant nonchalamment une main dans ses cheveux. Mais je peux toujours progresser...
— Non, sérieux, c'est... Ouahou. Vraiment.
— Ne lui fais pas trop de compliments, ricana Joachim. Il a les chevilles trop enflées. Si tu continues, il ne pourra plus passer les portes !
— Je t'emmerde, Myller.Joachim éclata de rire et passa son bras autour des épaules de Yan, qui rougit de plus belle.
— Au fait, comment va ta côte ? demanda Mario en lui proposant une cigarette.
Théophile la refusa d'un geste du menton.
— Sa côte ? s'étonna Yan.
— Je me suis pris un mec, hier, lui expliqua-t-il en jouant avec les roulettes de sa planche.
— En cours de physique, précisa Mario. C'était assez spectaculaire.
— Cet imbécile de Wilmer a réduit ma tour de stabilos en cendres, marmonna Joachim. Elle était pourtant si bien partie...
— Je ne comprends pas, avoua Yan.
— C'est rien. Nathanaël Wilmer m'a juste confondu avec un matelas de sécurité. J'ai eu le droit à un beau bleu après.
— Tiens, en parlant de Nathanaël Wilmer, c'est pas lui, là-bas ?Théophile leva les yeux vers la silhouette sombre qui se dessinait près des préfabriqués du lycée Nicolas Fouquet. Seul Nathanaël Wilmer marchait de cette façon : la tête inclinée vers le sol, les épaules basses et les mains enfoncées dans les poches de son manteau. Il lui faisait penser à cette peinture célèbre du Romantique Allemand, Caspar David Friedrich... « Le Voyageur contemplant une mer de nuages ». Il se dégageait de lui une mélancolie identique à celle qui émanait du tableau. Quelque chose chez lui le dérangeait. Théophile avait du mal à mettre un mot sur ce pincement étrange qu'il ressentait quand ses yeux restaient bloqués sur Wilmer. Comme si la grisaille qu'il trimballait avec lui menaçait de l'engloutir à son tour...
— Sept balles qu'il va faire sa retenue avec Dolvi ? lança Joachim dans un éclat de rire.
— Essaye pas de récupérer tes sept balles, crétin, répliqua Théophile en levant les yeux au ciel.Wilmer s'effaça sous la pluie qui continuait de tomber. Théophile haussa les épaules et le chassa de ses pensées.
— Bon, on s'entraîne ? On a le skatepark pour nous.
Et il s'élança sur sa planche sans plus attendre.
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Nathanaël s'ennuyait à mourir. Le ciel pleurait sur la pelouse dans un crachin exécrable. Les réverbères luisaient faiblement dans la cour du lycée, comme pour l'encourager à fermer les yeux.
Naël avait délaissé ses exercices de physique depuis bien longtemps. Les aiguilles de sa montre semblaient s'être arrêtées. Les canalisations antiques de l'établissement gémissaient sans discontinuer, mais aucun radiateur n'était encore allumé. Il avait dû garder son manteau pour survivre au froid qui régnait dans la classe.
Pour s'occuper, Naël avait d'abord improvisé quelques caricatures sur son cahier de brouillon. Il avait vite lâché l'affaire. Ses compétences en matière de dessin égalaient son aisance en physique-chimie. Il s'était donc laissé guider par ses pensées, faisant seulement semblant de réfléchir lorsque le surveillant qui le gardait passait la tête par la porte.
Dehors, au niveau du skatepark, quelques rires résonnaient. Naël ne pouvait discerner clairement les voix qui virevoltaient dans l'atmosphère, mais il n'en avait pas besoin. Il n'y avait que Théophile Wesco pour faire du skate par un temps pareil. Joachim Myller ne devait pas être loin non plus.
Naël écrivit le nom de Théophile Wesco en lettres capitales là où aurait dû figurer quelque formule insondable. Théophile Wesco. C'était un beau nom, et un beau garçon. Naël n'avait jamais vu quiconque possédant de pareils yeux. Ils étaient dorés, comme si le soleil automnal était venu s'y reposer, et sa peau était pareille à du café au lait. Il était mince, souple comme un chat, et il avait cette manière de parler... les mots embrassaient ses lèvres et valsaient sur sa langue. Il possédait une voix électrifiante. La veille, après sa chute honteuse sur Wesco, Naël n'avait pas pu trouver le sommeil. Il avait passé des heures à se rejouer la scène dans sa tête, se demandant comment il avait pu être aussi bête, aussi maladroit. Il avait écrasé Wesco de tout son poids. Et celui-ci lui avait soufflé quelques mots à l'oreille qui restaient incrustés dans son crâne.
« C'est la première et la dernière fois que je te sers de matelas de sécurité, Wilmer. »
Naël les écrivit sur son cahier, comme si le simple fait de les coucher sur le papier pouvait délivrer les intonations de son camarade de classe dans la salle. Évidemment, rien de tel ne se produisit. Mais Naël eut soudain une idée.
Il avait toujours aimé écrire. Des contes, d'abord, puis des Fanfictions, lorsqu'il avait atteint l'âge fatidique de lire les Harry Potter en sachant qu'il n'y aurait jamais de suite aux Reliques de la Mort. Il s'amusa avec le nom de Théophile et le transforma en « Gautier », allusion au célèbre poète Théophile Gautier, et imagina un dialogue pimenté entre lui et son alter-ego de papier, qu'il décida de nommer « Gallagher ». Son regard tomba sur le pupitre de Théophile. Un sourire naquit sur ses lèvres... Il déchira une feuille dans son cahier de brouillon et commença à écrire.
Une heure plus tard, lorsque le surveillant vint le chercher pour lui annoncer la fin de sa détention, Naël ramassa précipitamment ses affaires, et sortit en courant de la salle de classe.
Il n'avait plus qu'une hâte, se réfugier sous sa couette avec un bon roman.
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Coucou, j'espère que ce premier chapitre vous a plu.
Comment trouvez-vous Théophile et Nathanaël ? Joachim ? Et Yan ?
Merci de votre lecture 💜
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Skinny Love [BoyxBoy]
Teen FictionCoincé en retenue pour la soirée, Naël décide d'écrire une histoire pour s'occuper. Quoi de mieux que de s'inspirer de ses camarades de classe, de ses sentiments et de son propre lycée pour commencer ? Et pourquoi pas mettre en scène Théophile Wesco...