Acte 1, Voyeurisme

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Alors que la neige recouvrait les toits de Paris de son épais manteau immaculé, un vieux facteur affrontait cette immensité blanche afin de délivrer leur leur courrier aux jeunes filles du pensionnat du Royal Ballet.
Quelques instants plus tard, quelqu'un toqua à la porte d'une des chambre de l'interna, une magnifique jeune femme au long cheveux argentés alla ouvrir et découvrit qui se dressait devant elle, une petite fille qui était employée par l'école.

-Du courrier pour vous, mademoiselle Hannafeloz, lui annonça-t-elle de sa voix haute perchée, en lui tendant une lettre.

La jeune danseuse l'attrapa, avant de la remercier et de refermer la porte. Elle tourna l'enveloppe entre ses doigts, et vit que l'adresse qui avait été tapée à la machine sur le papier lui était inconnue.

-Tu as du courrier? C'est étonnant, cela n'arrive jamais d'habitude, s'étonna une voix de femme en rigolant gentiment.

La ballerine aux cheveux argentés se retourna, et vit sa compagne de chambre, une jeune femme âgée de d'un année de plus qu'elle dont les cheveux bruns retombaient en boucles désordonnées sur ses épaules, en train de faire ses habituels étirements matinaux, tout en observant la neige tomber à travers la fenêtre.

-Je suis tout aussi surprise que toit, avoua la plus jeune, en descellant l'enveloppe. Et je préfère ne pas en recevoir. Tu sais ce qu'on dit, pas de nouvelle, bonne nouvelle.

Mais après avoir lu les premières lignes de la lettre, la jeune femme comprit tout de suite de quoi il s'agissait, et le sourire qui flottait, il y a encore quelques secondes, sur ses lèvres disparu aussitôt. Elle sentit soudainement ses forces l'abandonner et ses jambes flageoler.

-Carmen? Il y a un problème? S'inquiéta la brune en s'approchant d'elle.

Mais Carmen ne répondit pas et se contenta d'éclater en sanglots tout en se laissant glisser au sol. Son amie posa une main sur son épaule, avant de lui prendre doucement la lettre des mains et de commencer à la lire silencieusement.

-Le vicomte de Druite s'est suicidé! S'exclama-t-elle. Mais je ne comprends pas. On l'a vu il y a à peine quelques jours, il avait l'air d'aller bien pourtant.

-Cet homme était veuf et usé par la vie, cette situation me pendait au nez depuis des mois... marmonna la plus jeune danseuse entre deux sanglots.

-Mais maintenant, qu'est-ce que tu vas faire?

-J... Je n'ai pas le choix... Je vais devoir quitter l'école, sans personne pour payer les frais.

-Tu n'as nulle part où aller si tu quittes l'internat?

En voyant sa camarade hocher la tête en signe de négation, elle lui dit:

-Tu peux toujours t'arranger avec l'opéra et te trouver un nouveau protecteur pour s'occuper de tes frais, ajouta la brune, en caressant doucement le dos de l'autre de sa main.

Carmen se contenta de hocher une seconde fois la tête.

Deux jours plus tard, la majeure partie du peu d'affaire que possédait la jeune femme avait été remballées, et il ne lui restait que jusqu'à la fin de la semaine pour quitter sa chambre.
Bien qu'elle eut essayé de trouver un arrangement avec le directeur de l'école, il n'y eu rien à faire. Il lui était impossible de rester plus longtemps à l'internat, et c'était seulement grâce à son rôle de Juliette dans une représentation de Roméo et Juliette qui avait eu lieu l'année précédente à l'Opéra national de Paris, que de vicomte de Druite l'avait repéré. Il lui avait permis de rester à l'internat et de continuer à suivre ses cours de danse en dépit des nombreuses dettes de la jeune femme, qu'il avait remboursé de bonne grâce, sans rien demander en échange, si ce n'est que de demander de la voir continuer à danser.
Alors pour ce qui serait sans doute la dernière fois de sa vie, elle se rendit seule durant la nuit sur la grande scène de l'Opéra. Et tandis qu'il ne régnait que le silence dans l'immense salle, elle se mit à danser. Et c'est alors que chaque secondes qui passèrent se mirent à sembler durer des heures, que chacun de ses mouvements lui firent oublier ses angoissent, jusqu'à même les faire disparaître.
Elle ne sut pas combien de temps elle resta ainsi, et peu lui importait. Que ses bras et ses jambes la fassent souffrir, que ses pieds soient en sang, ou encore que quelqu'un la surprennent. Elle n'avait plus rien à perdre.

Mais surtout elle ne remarqua pas qu'une ombre assise dans le fond de la salle l'observait avec attention. Un homme qui fut subjugué par les gracieux et dynamiques mouvements de la jeune femme. Par ses longs cheveux argentés qui volaient au rythme d'une musique hypothétique. Par le personnage tragique qu'elle interprétait, qui n'avait rien d'imaginaire. Par elle, aussi triste et belle qu'elle était.

Mais ce voyeur n'eut aucunement l'intention d'aller lui parler. Il n'aurait pour rien au monde voulu l'interrompre.
Il se contentait de méditer ses pensées, tout en gardant un œil fasciné sur cette mystérieuse jeune femme.

Le protecteur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant