«Non je ne suis pas aveugle, je vois
Je vois mille fois mieux que vous tous
Vous qui ne savez pas voir le monde.
Vous ne connaissez du monde que votre vision utopiste et superficielle
Ce que vous croyez réalité n'est qu'artificiel.
Le monde n'est ni lumière ni couleurs
Le monde n'est qu'énergie à laquelle je donne creux et bosses.
Ressentez ondes et auras des hommes qui vous entourent
Je ressens toute l'énergie de la terre à la pierre que je sculpte.
Mes statues sont des âmes à qui j'ai offert un corps
Elles sont emplies d'ondes et de vie
Sûrement plus que beaucoup d'entre nous
Nous, humains qui sommes déjà presque morts.
Je ressens le monde puis je lui donne forme
Je crée le monde
Je crée mon monde
Le monde n'est qu'une illusion dont la seule vérité est celle que nous créons
Créez votre monde mes hommes
Créez votre monde femmes, enfants et malheureux corps animés et sans âmes que vous êtes.
Oui, je n'ai pas d'yeux mais une âme
Je ne suis pas aveugle
C'est vous qui l'êtes»...
Une femme nue au milieu de statues
Un atelier des pierres blanches
Reflets de poussières dans les rayons du soleil
Et au milieu un sculpteur aveugle
Et des mains
Ce sont des mains contre de la peau
Des mains contre de la pierre
Qui glissent le long des hanches et du squelette
La femme regarde les yeux clairs et vides du sculpteur
Yeux sans vie
Elle le regarde faire, elle sent ses mains contre son corp qui vont travailler sculpter la pierre
Puis le sculpteur s'assoie et souffle
La femme se lève elle sait qu'il faut le laisser seul
Seul avec ses statues
Elle se rhabille puis part
L'homme de nouveau seul
Parmis des corps blancs lumière
Lumière céleste silence funèbre
La statue de femme allongée face à lui
Il la regarde avec ses mains qui sentent les creux et les contours
Puis il l'embrasse
Et elle ouvre les yeux
La statue
Et se lève
Et il l'embrasse toujours
Et toutes les statues s'animent
Les statues blanches telles des fantômes
Certaines dansent sur le son du violon du voisin d'en face
D'autres s'embrassent
C'est la nuit
Seuls des corps blancs dans une pièce
Qui bougent
Lumière lunaire
Et le sculpteur son cœur bat
Enfin
Son cœur de sang, cœur de pierre
Un cœur de vie et de prièresLe voisin d'en face arrête de jouer du violon
Il le range dans son étui, s'allume une cigarette
Puis se pose à la fenêtre
Il regarde en face, il regarde le sculpteur aveugle et pense
Il pense à cet homme toujours seul parmis ses statues immobiles
Il leurs parle il les embrasse
Mais ce ne sont que des statues
Sans vies et de pierre
Il est fou l'aveugle, l'aveugle toujours seul
Ah si il y a parfois cette femme
Où quelques fois un homme
L'homme, l'homme qui pose toujours la même question à l'aveugle
«Pourquoi ne veux tu pas m'aimer?»
il lui demande
Chaque fois avant de partir
Car l'homme aime l'aveugle
L'aveugle qui passe des heures ses mains le long de sa peau
Et il sculpte sculpte pour en faire des statues
Et chaque fois la même réponse
«Je n'aime pas les hommes.»
Alors l'homme se rhabille et part seul et triste dans la nuit
Et pleure
Et le violoniste pense à l'homme
Il l'aime cet homme
C'est pour lui qu'il joue chaque soirs
C'est pour lui qu'il pose ces notes dans la nuit sans jamais oser traverser la rue
Il éteint sa cigarette et va dormir...
Un jour l'homme est chez l'aveugle
Comme toujours, nu au milieu de statues
L'aveugle qui passe ses mains sur son corps
Le violoniste à sa fenêtre
Le violoniste qui aime l'homme
L'homme qui aime l'aveugle
L'aveugle qui aime ses statues
Mais l'homme n'en peut plus d'attendre
Il en peut plus d'attendre que le sculpteur l'aime
Et non ces foutues statues créées à partir de son corps
Alors l'homme se lève et embrasse l'aveugle
L'aveugle ne bouge pas
L'homme prend sa tête entre ses mains et l'embrasse encore
L'aveugle recule
«Je n'aime pas les hommes»
Alors l'homme pleure se rhabille et part
Comme à chaque fois
Et le violoniste regarde
Lui aussi il n'en peut plus d'attendre
Alors il ferme sa fenêtre descend l'escalier et sort
Il court il court vers l'homme
Il lui parle, l'homme cesse de pleurer et ils s'embrassent
Ils remontent dans l'appartement du violoniste
Il fait de nouveau nuit
Tiens pas de violon ce soir
pense l'aveugle
Lui aussi il pleure à son tour
Il voudrait bien les aimer
Les Hommes
Mais il ne peut pas
L'Homme est pour lui trop cruel et dépourvu de vie
Ce soir ses statues ne bougent pas
Et voici des statues immobiles
Un aveugle qui pleure
Un homme et un violoniste dans un lit...
L'homme et le violoniste ont été pendus
Le sculpteur aveugle s'est pendu
Deux hommes qui s'aiment on les tue
Alors sans violon les statues ne bougent plus
Seule la femme vit encore
Mais maintenant elle se prostitue
Sans le sculpteur elle ne travaillait plus
Alors voici trois hommes morts et une prostituée
Et quelque part toujours dans un atelier
Restent des statues immobiles
Qui attendent que viennent un peu de vie
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Statues
PoetryQuelque part entre le XVIII et le XIX, vivait un sculpteur, un sculpteur aveugle