Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), le jeune prince Hiroshi arrive à l'âge d'homme. Du moins le croit-il, estimant n'avoir plus besoin de ses parents pour subsister. Il n'a pas davantage qu'un autre profité des leçons de ses maîtres, mais pas moins non plus ; il a surmonté l'épreuve du temps passé auprès d'eux. Hiroshi referme donc ses cahiers et s'élance sur le grand tatami du monde pour s'adonner à la danse des trois sabres : sabre d'acier au côté, sabre de chair sous le hakama, sabre d'esprit sur la langue.
Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), les parents du prince Hiroshi voient s'éloigner leur dernier fils avec tristesse. Ils ne peuvent s'opposer à son départ. Toutefois, ils décident que leur fils ne partira pas seul et lui lèguent en héritage deux serviteurs qu'ils ont pris soin de former à cet effet : Aï qui sourit toujours et Hô qui ne sourit jamais, l'un et l'autre chargés de guider les pas du prince.
Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), Hiroshi aimerait faire la part des choses. Mais Aï, volubile, ne cesse de lui dévoiler les séductions du monde, et ces dernières ne manquent pas. Tant et plus plaisent à Hiroshi qu'il ne sait lesquelles choisir, n'en préfère aucune pour s'abandonner à toutes et finalement s'étourdir chaque jour de plaisirs qu'il oublie le lendemain. L'ovale d'un visage au coin d'une rue ; le velouté d'une voix au théâtre ; le délice d'un met servi sur des pierres brûlantes ; le musc d'un parfum exotique sur l'humide d'une peau sombre ; le chatoiement gorgé de lumière d'une clairière où il s'éveille : le mystère d'une ombre qui le fait soudain frissonner et qu'il ne fuit pas. Ses trois sabres comblés de sensations, la volupté des combats le disputant à l'orgueil des victoires, Hiroshi veut tout et plus encore, et Aï sourit sans fin.
Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), Hiroshi aimerait faire la part des choses. Mais Hô, taciturne, pose sur tout acte un seul regard pour n'en tirer qu'une seule conclusion. Que le jeune prince suive ou non ses avis, les sentences de Hô, laconiques, finissent toujours par devenir réalité, sans que Hiroshi sache si Hô prédit l'avenir ou le façonne. « Mange et bois de tout ton soûl s'il te chante, mais tu ne te réveilleras pas demain sans douleur, ni après-demain sans que ton corps pourrisse » ; « Subtilise à ta guise cette magnifique flûte de jade à son propriétaire qui en joue si mal, mais je sais que tu ne goûteras guère les coups de bâton dont ses gens régaleront ton dos » ; « Exerce jusqu'à l'extase l'art de ton sabre de chair au sein des maisons où tes sens te mènent, mais tu n'en maudiras que davantage le jour où leur porte te sera condamnée, tu verras ». Ainsi, à chaque pas un piège possible, que Hô décèle ou dessine. S'en remettre à lui, se dit Hiroshi, c'est vivre droit et digne mais ne vivre que la vie de Hô, et ne jamais sourire.
Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), Hiroshi cherche aussi. Tantôt euphorique, tantôt abattu ; tantôt confiant, tantôt désespéré ; tantôt pauvre, tantôt riche ; tantôt esseulé, tantôt étouffé ; tantôt tiré par Aï comme un petit chien, tantôt poussé par Hô comme une boule de neige . Les tentations de Aï auxquelles Hiroshi succombe lui laissent un goût sucré puis amer ; les mises en garde de Hô lui sauvent puis lui gâchent la mise. Désormais, il connaît l'un et l'autre de ses serviteurs par cœur, les devine avant même qu'ils ouvrent la bouche. « Tout cela, ma vie, est absurde », se lamente Hiroshi.
Au lointain royaume de Muomi où chacun cherche un sens à sa vie (sans cesse et peut-être en vain), Aï qui sourit et Hô qui ne sourit pas se demandent s'ils ont failli à leur mission. Ils ont rempli leur rôle, ils n'ont rien à se reprocher, et pourtant Hiroshi est morose. Il n'a plus goût au plus raffiné des plaisirs ni à l'accomplissement du plus noble devoir ; il ne prête plus attention à rien. Aï et Hô voudraient suggérer à Hiroshi de s'en retourner pour retrouver ses parents, mais au royaume de Muomi cela ne se fait pas. Alors, ils proposent au prince d'aller affronter les dieux. « Je n'ai pas réussi à trouver ma place dans le monde des hommes et pourtant vous m'imaginez en héros ? », s'étonne Hiroshi d'un air las. Aï sourit tristement et Hô pince les lèvres ; aucun des deux ne lui répond.