Première partie : Souvenirs

71 8 9
                                    

Aussi loin que je m'en souvienne, nous avons toujours été deux. De la petite section de maternelle jusqu'au collège en passant par le primaire, sans oublier l'escale dans un dojo municipal, nous avons toujours été deux. Elle et moi. Moi et elle. Lola et Noémie. Noémie et Lola. Biquette et Calculette. Watson et Wetug. Les deux Elles. Pumbaa et Timon. Mushu et Cri-Kee. Nous collectionnons les surnoms et j'espère que le temps nous en créera d'autres. Car nous sommes liées, malgré tout ce qu'on peut penser. Notre histoire a démarré il y a bien longtemps...

Ma première rentrée, en 2009, a été un jour merveilleux. Mon sac-à-dos taille puce était violet pâle. J'en étais fière. Je ne sais plus si j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps en m'accrochant de toutes mes forces de fillette au pantalon de ma mère. C'est peut-être même mon père qui m'a emmenée. Je me souviens seulement de cette sensation d'avoir trouvé mon autre moitié. Je pourrais appeler ça une âme sœur mais nous risquons le quiproquo. Je voudrais exprimer cette impression de savoir qu'il existe un autre soi, mais différent ; comme une jumelle ou une sœur. Une personne avec qui vous êtes étroitement lié(e). Une âme adorable que l'on considère comme sœur. Ce n'est pas de l'amour, mais une amitié aussi forte que ce lien qui unit mystérieusement une fratrie. Je connais bien cette émotion : je suis la benjamine d'une famille de quatre enfants.

À cette époque, j'avais seulement trois ans, mais j'avais déjà compris la grande leçon qui guide ma vie : cette fillette, trois ans elle aussi, était ma sœur de cœur.

Lola est une personne formidable. Elle est très émotive mais elle sait mettre ses sentiments de côté quand il le faut. Elle est certes impulsive, même trop par moment, mais sans son caractère bien trempé, nous serions encore bloquées dans des pétrins pas possibles (où l'on se fourre avec joie dès que l'occasion se présente). Nous partageons tellement de choses qu'il nous faudrait plusieurs kilomètres cubes pour tout caser si nos délires étaient matériels. Je suis incapable de rester avec elle dans une pièce sans rire. Cette phrase est très « cliché », mais elle semble avoir été inventée pour nous : on peut compter l'une sur l'autre sans douter ou hésiter. Notre amitié nous a rendues plus fortes que quiconque.

Mais Lola et moi ne sommes pas de simples amies d'école. Nous avons pu cultiver ce jardin qu'est devenue notre amitié dès nos débuts, puisque nous avons partagé un temps la passion du tatami. À mes trois ans, j'ai demandé à mes parents de m'inscrire au cours de judo de mon village. Je ne connaissais pas ce sport mais quasiment toute ma famille pratiquait, et les autres sports ne m'intéressaient pas. Alors, pour être une vraie petite Delvingt et faire la fierté de ma famille, j'ai commencé ce sport japonais. Il m'a construite telle que je suis aujourd'hui, et m'a inculqué ces valeurs devenues miennes : Honneur, Respect, Sincérité, Contrôle de Soi, Courage, Modestie et, la plus importante, Amitié.

Mais à l'époque, j'étais seule sur le tatami. Bien sûr, d'autres enfants étaient avec moi. Pourtant, je me sentais horriblement abandonnée par celle qui comptait et compte le plus. À cette époque, Lola dansait sur les parquets, en chaussons et tutu. On lui demandait de maîtriser la grâce, l'élégance et la perfection ; cela n'a jamais été mon fort. Moi, pendant ce temps, dans mon dojo, j'apprenais à immobiliser mon adversaire au sol. Elle me manquait.

Mais un jour, Lola a laissé tomber le classique. Comme moi, elle était déjà une petite bourrine. Elle avait besoin de l'adrénaline des combats ; et elle méprisait la rigueur demandée à la barre. Alors, elle vint essayer le judo. Nous étions deux sur le tapis.

Plus tard, pour notre rentrée au CP, tout devait bien commencer. Moi et Lola étions dans la même classe, et, même si je n'aimais pas notre institutrice, je m'en fichais : nous étions ensemble.

EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant