Au dessus du ciel

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La roche crisse sous mes pieds, calcaire immaculé, granite géométrique, scintillant au soleil. Quelques gravillons chutent et rebondissent plus bas sur les reliefs dans un son terreux. Quelques plantes desséchées ayant transpercé la paroi de leurs racines pour goûter à la lumière. Le bruit du vent et de l'effort. Le vide.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici exactement, quelques heures peut-être? Un léger étourdissement me gagne tandis que mon regard se perd, à la recherche du sol, plusieurs centaines de mètres en dessous. Il n'y a rien d'autre que le rocher et moi. Un rendez-vous en tête à tête au beau milieu du ciel, tout proche des nuages. Je suis partie vers l'inconnu, à l'assaut de ce colossale géant rocheux. Perdu au milieu des landes, il semblait m'attendre, m'appeler même. Impossible que le hasard soit à l'origine de ma rencontre avec ce caillou, pas au moment même où j'avais voulu disparaître et me fondre dans l'oubli pour un temps. Je me suis simplement approchée, j'ai posé mes mains sur la paroi, et fait courir mon regard sur la roche, tentant d'apprécier les angles, les reliefs, les creux, décodant ainsi le langage du rocher, son message, sa volonté. Ensuite, j'ai posé mon pied, puis l'autre, m'élevant encore et encore pour arriver finalement là où je me trouve maintenant.


Les angoisses, les soucis et les peurs ne se sont pas envolés, non, ils sont au contraire partis se fracasser sur les pierres en contrebas.Ils n'ont pas leur place dans le ciel. Ils attendront en bas. Je dois continuer sans eux, faire corps avec le granite, empêtrée dans une transe mystique me poussant toujours plus haut. Inlassablement, inexorablement, je poursuis mon ascension. Peu m'importent les brûlures sur mes doigts, la douleur qui tétanise mes muscles, la chaleur écrasante, la tension qui réside dans mes pieds, tentant de m'arracher à cet instant de solitude. La gravité ne fait pas son œuvre, pas encore. Pour le moment, je la bouscule, allègrement à chaque pas, chaque mouvement d'épaule, chaque contraction de l'avant-bras, chaque propulsion du bout des pieds. Une main glissée dans une fissure, mon pied en opposition contre un angle, tout mon être plaqué sur le mur. D'où me vient cet équilibre improbable ?Je l'ignore. C'est comme une danse verticale, sans musique, avec pour seul partenaire un morceau de caillou. Aussi silencieux que le chaos de mes pensées résonne haut dans les os de mon crâne. Je ressens la force, la souplesse, l'équilibre, la beauté. Le tout s'orchestre pour ne former qu'un mouvement, qu'une volonté, aller plus haut. Le rocher et moi avons rendez-vous avec le ciel.

Au sommet, rien de plus que l'élégance du vide et cette impression de regarder le monde de l'extérieur, hors du temps et hors de tout. Le ciel possède-t-il un plafond ? A quelle hauteur commence le ciel et finit la terre ? Existe-t-il une frontière symbolique et immuable entre mon esprit et le ciel ? En haut du toit du ciel, tout semble flou et inconsistant. Rien n'a vraiment de valeur, le monde semble futile. Bientôt, il faudra redescendre. Encore un peu plus près du ciel, juste un peu avant la chute. Je voudrais m'en rapprocher et le dépasser, portée par ce grand rocher. Quelques fantasques arabesques avec les nuages, caresser l'air du bout des doigts, fermer les yeux et se sentir exister. Ces géants caillouteux sont mon salut, mon âme est ancrée dans la pierre. Ainsi accrochée à mes pensées, j'escalade, je vis, juste au dessus du ciel...

Au dessus du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant