Colyna - 2

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 Ce n'est pas vraiment une boutique, c'est plus l'un de ces showrooms privés où sont conviées les personnalités influentes. La moquette est épaisse, le mobilier de qualité et les miroirs ornés d'or... je ne sais plus où regarder, tout est beau, moderne, féérique... C'est mieux que je ne l'avais imaginé.

Ma meilleure amie jubile en nous faisant visiter, elle joue les grandes dames, les femmes qui ont réussi. Son carré brun impeccablement lissé s'anime au rythme de ses déhanchements, elle est classe et distinguée, je l'admire. Elle peut paraître superficielle pour qui ne la connaît pas vraiment, mais c'est quelqu'un de généreux, de digne de confiance, et j'aime passer du temps avec elle et Mary. L'une est joviale et exubérante, tandis que l'autre est secrète et observatrice. À elles deux, elles forment le parfait équilibre, elles sont les deux indispensables de ma vie.

Mary est silencieuse, elle nous suit sans protester, pourtant, je devine qu'elle ne se sent pas à sa place. Ses cheveux courts sont roses aujourd'hui, assortis à son top trop large, mais ils auraient pu être de n'importe quelle couleur, elle change tout le temps. Je me demande pourquoi parfois, mais jamais je ne l'interroge. Je crois qu'elle n'aimerait pas, elle rougit déjà devant tant d'élégance. Mary n'est pas comme moi et Lizzie, elle n'est ici que pour le plaisir de ses amies. Je lui montre des vêtements amples comme ceux qu'elle porte, mais elle secoue la tête obstinément. Lizzie glousse en nous observant, elle ne se fait pas prier pour tout essayer. À l'évidence, elle a l'habitude !

Je suis son exemple et me laisse guider vers une cabine presque aussi grande que la salle de bain de chez Granny. Tant pis pour Mary, j'ai bien l'intention d'en profiter ! Grâce à Lizzie, je suis Audrey Hepburn s'apprêtant à fouler le tapis rouge, je relève le menton et fait la difficile face à une employée blasée. Mon amie ricane en m'imitant :

– Cette robe ne te met pas suffisamment en valeur !

Quelques minutes plus tard, ma tenue est passée d'un noir élégant à un doré flamboyant. Lizzie, elle, a remplacé un imposant drapé vert par une tunique à sequins, elle admire sa silhouette longiligne devant la multitude de miroirs. Mary ne s'est toujours pas décidée, je me demande si elle va finir par se changer pour sortir.

– Alors, c'est le grand soir ? m'interroge Lizzie d'un air faussement détaché.

Je me fige, retiens mes mains de trembler. Elle sait que j'ai du mal à évoquer mon intimité et bien sûr, elle en joue.

– Je ne suis pas décidée, je susurre en évitant de la regarder.

Elle a de l'expérience, elle pourrait m'aider, mais je suis incapable de le lui demander et à l'évidence, ça l'amuse. S'inquiète-t-elle vraiment pour moi ou cherche-t-elle simplement à se divertir à mes dépens ? Mary fait semblant de farfouiller dans les portants, mais je sais qu'elle tend l'oreille, prête à intervenir.

– Ce n'est pas ce que m'a dit Stefan.

Je perçois le venin dans sa voix, Lizzie est la confidente de mon petit ami depuis toujours et je hais qu'elle choisisse cet instant pour me le rappeler. Ça ne me dérangeait pas avant, mais voilà que ça me rend folle à présent !

– Il t'en a parlé ?

Je la fusille du regard et le regrette aussitôt, il n'y a aucune malice, aucune arrière-pensée dans les yeux noisette de Lizzie.

– Il voulait juste quelques conseils, tu sais bien que dès qu'il s'agit de toi, il devient nerveux.

Sa douceur est de retour, nos griefs sont oubliés. C'est toujours comme ça avec Lizzie et j'accepte les bras qu'elle tend de bonne grâce. Nous nous câlinons comme deux sœurs après une dispute et Mary sourit en se décidant pour une tunique bien trop grande. Elle est déjà dans la cabine tandis que Lizzie me murmure des mots rassurants, me confie que j'ai le droit d'avoir mal, de me tromper et de faire machine arrière.

C'est pour ça que je l'aime, pour ça qu'elle compte tant pour moi. Quand mon père est parti, c'est elle qui a comblé le vide laissé béant par son absence. Mon tour est venu de lui prouver que je m'intéresse à ses problèmes.

– Ça fait un moment que tu n'as personne en vue, tu nous caches quelque chose ?

La tristesse sur son visage me surprend, elle se détourne et je sais que le tourbillon Lizzie est de retour.

– Mozart Stanlo pourrait faire l'affaire pour la soirée ! affirme-t-elle.

Je me la représente au bras du musicien ébouriffé et je grimace, il n'y a pas plus mal assorti. Cette vision risque de me hanter pendant des jours, je secoue la tête pour la chasser.

– Tu plaisantes ! Il n'est même pas capable de porter un tee-shirt repassé.

Lizzie glousse et Mary nous rejoint. J'ignore si elle a essayé la belle tunique en soie, mais son haut rose déformé est toujours sur son dos.

– Je suis convaincue que son côté négligé dissimule des trésors fabuleux, commente Lizzie en retrouvant son reflet dans les miroirs.

Cette fois-ci, c'est Mary qui se moque. Comme moi, l'image du couple dépareillé a dû lui filer des frissons.

– Toi, tu nous couves quelque chose ! raille cette dernière en posant sa main sur son front.

Notre amie s'agite, elle ne rit plus. J'imagine l'un de ses nombreux défis farfelus, j'attends ses aveux, elle se contente de préciser :

– Il est possible que je lui ai proposé de passer le prendre avec la limousine et qu'il soit accompagné de quelques amis.

BrokenWhere stories live. Discover now