Le Feu de la Discorde

Scène 1

Valentina referma soudainement le livre dans un clappement feutré.

— Oh non ! s'exclama Daria, sa petite fille. Continue, s'il te plaît !

— Non ma tendre petite, il est tard.

— Mais grand-mère, qu'est-il arrivé à Ténor ensuite, après la bataille ?

— Personne ne le sait, et vu ce qu'on raconte de sa famille, il vaut mieux en rester là, trancha Valentina.

Daria afficha une mine contrite. Elle ne voulait pas fâcher sa grand-mère. Mais elle voulait tellement savoir ce qu'était devenu ce grand musicien qui avait tenu tête à la méchante Juno ! Peut-être qu'en forçant un peu sa tristesse et en feignant quelques larmes, grand-mère cédera et continuera son histoire ?

— Allons, allons, une princesse, même aussi jeune, ne devrait pas avoir ce genre de comportement, gronda Valentina.

Daria se renfrogna. Résignée, elle n'en ajouta pas, sachant très bien le genre de punitions auxquelles elle s'exposait si elle continuait son caprice.

— Demain est un jour important, Daria. Nous organisation la grande célébration sylvestre annuelle, en l'honneur de notre dieu, l'Arbre Mana. Tu te souviens de lui, j'espère ?

Daria leva les yeux au ciel, et pris un air blasé. Machinalement, elle se mit à répéter la même leçon qu'on lui enseignait depuis le plus jeune âge.

— L'Arbre Mana, divinité supérieure, régnant sur le monde et les hommes, aidé par ses neufs esprits originels, divinités mineures... blablabla...

— Exact. Cette cérémonie est très importante dans notre famille. La réputation des Fires n'est plus à faire mais doit être entretenue. Et pour cela, j'attends une attitude irréprochable, que ce soit de la part de tes parents ou de toi, jeune fille.

Daria acquiesça. Quand il s'agissait d'affaire familiales, grand-mère se révélait beaucoup plus sévère. Elle la préférait en dehors de toutes ces affaires religieuses. Valentina souhaita bonne nuit à sa petite fille, et souffla la bougie dans la pièce de velours du palais. Juste avant de refermer la porte, Daria posa une question troublante. Une question qu'elle n'avait jamais posé auparavant.

— Grand-mère... Finalement, pourquoi on ne célèbre pas le dieu Efreet ?...

Les traits de Valentina se crispèrent.

— Bonne nuit ma tendre enfant, souffla-t-elle.

Elle referma précipitamment la porte à la poignet dorée.

Dans les couloirs feutrés du palais royal, Valentina soupira d'exaspération. C'en était trop, Il fallait qu'elle aille voir sa fille, Tamara. L'éducation de Daria était d'un laxisme révoltant pour une famille royale et la petite-fille, trop curieuse, posait des questions dérangeantes. Qui s'intéressait encore à Efreet à Islar ? Les Fires avait arrêté il y a bien longtemps de vénérer le dieu, et s'étaient plutôt tournés vers l'Arbre Mana. On prêtait le culte d'Efreet aux survivants d'Amad et à toute une partie de la population de Jor épargnée par la grande guerre des éfrits. Des temps maudits et une époque chargée de tristesse.

Il n'était pas tard – sauf pour une fillette – au palais royal d'Islar. Pour se changer les idées, Valentina emprunta le couloir de marbre immaculé qui menait aux chambres de ses autres petites filles, plus âgées. Elle frappa à leur porte et entra. Elle surprit Giula et Alessia agenouillées devant un petit autel où trônait un arbuste de marbre taille moyenne, récitant à voix basse le credo sylvestre. Les deux jeunes filles se retournèrent, interrompant leur prière, et se précipitèrent vers Valentina.