Si humain (nouvelle)

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Étienne Portier regarda longuement son reflet dans le miroir. Le doute se lisait dans les cernes sous ses yeux, dans son regard aux abois, dans ses joues creuses et sa bouche qui ne parvenait plus à sourire. Le doute était bel et bien là, mais à quoi cela lui servait-il de douter puisque cette opération était sa seule chance de survivre au cancer ?

Étienne se remémora la dernière fois qu'il était venu dans cet hôpital. C'était une dizaine d'années auparavant, vers 2008 ou 2009, en raison de ses problèmes de cœur – une simple malformation congénitale. Le médecin lui avait posé un pacemaker, en insistant bien sur le fait que cette opération était bénigne et très courante – mais Étienne s'était senti dépossédé, de son propre corps, de son autonomie, avec cet appareil, ce corps étranger dans son corps à lui.

Et voilà que cela recommençait. Cette sensation à la fois diffuse et terrible de laisser derrière lui une partie de son identité, une partie de son moi.

Sa femme entra dans la petite chambre d'hôpital, son sourire engageant et un brin moqueur toujours aux lèvres.

« Tu es prêt, chéri ? Le médecin t'attend ».

Étienne se rappela sa dernière consultation, lorsque le Dr Ranulov lui avait détaillé le dispositif médical qu'il comptait installer et qui lui sauverait la vie. Le docteur avait pris avec le sourire ses hésitations permanentes et ses inquiétudes sans fondement, tandis qu'Hélène s'était moquée de lui.

« Pense à l'époque où ces opérations n'étaient pas possibles, chéri. Pense aux gens pour qui un cancer était toujours fatal. » Et le Dr Ranulov de renchérir.

L'opération fut longue et le réveil douloureux. Hélène se montrait gaie, faisait comme si cela n'avait aucune importance, mais Étienne sentait au plus profond de lui-même que ce n'était pas le cas.

Car un dispositif métallique, lourd, froid et hideux était à présent installé tout autour de son ventre.

*

« Vous m'entendez,Monsieur ? »

« Je crois qu'il est conscient... ça tient du miracle ! »

« Et l'autre personne, dans la voiture ? »

« La femme ?Je suis désolé, elle n'a pas survécu... »

« C'est horrible... »

« Au moins, elle n'a pas souffert, les ambulanciers m'ont dit qu'elle était morte sur le coup. Alors que lui... »

« Chut, moins fort, je crois qu'il nous entend. »

Étienne refaisait surface, lentement, péniblement. Que disaient ces gens autour de lui ? Ils portaient des blouses blanches et s'affairaient en parlant d'une femme tuée dans un accident. Hélène... Hélène !Que s'était-il passé ? Ils revenaient d'une soirée, une voiture avait débouché sur la gauche, trop vite, tout s'était passé si vite, il ne se souvenait que de...


Étienne ouvrit les yeux, dans la chambre blanche et froide.

Il était manifestement à l'hôpital, mais ses souvenirs n'étaient toujours pas clairs. Il tenta de bouger, mais il ne voyait pas ses membres sous la couverture. Il se sentait paralysé.

Il tenta d'émettre un son, d'appeler à l'aide. C'est alors qu'une infirmière entra dans son champ de vision.

« M. Portier,comment vous sentez-vous ? »

Étienne réessaya mais fut incapable de lui répondre. Il se contenta de lancer de rapides coups d'œil terrorisés vers ses bras et ses jambes cachés par la couverture.

Si humainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant