Pour Noël, ma sœur avait demandé un Amazon Alexa, un machin qui écoute toute ta vie pour la transmettre à Jeff Bezos. Ma mère n'a pas voulu. Pas à cause des données et tout, pour elle Cambridge Analytica c'est une marque de t-shirts, mais elle a dit que tous ces objets, c'était pour remplacer l'affection humaine et elle s'est mise à chougner comme quoi elle avait fait tout ce qu'elle avait pu, que son travail de mère était harassant mais que voulez-vous elle n'allait pas rester toute sa vie à la maison à regarder des rediffusions de Koh Lanta, alors elle n'a pas pu être aussi présente qu'elle l'aurait souhaité, mais qu'au final une bonne mère c'est une mère épanouie avant tout.
Mon père ne disait rien car il était mort. Faites pas genre "oh désolé" et tout, je m'en rappelle même pas, enfin pas trop, juste un souvenir d'une fois où il s'était rasé la moitié de la barbe et il se mettait de profil d'un côté, de profil de l'autre, c'était pour rire mais ça m'avait trop fait peur, j'étais petite. Ma sœur elle s'en rappelle carrément pas, elle était bébé.
Il est mort en faisant de l'escalade, sa passion. Il était parti grimper les aiguilles de Bavella en Corse et y a un bouquetin qu'a surgit de derrière un rocher et il a tellement eu peur qu'il a dérapé et il a roulé le long de la montagne. Parfois je regarde une vieille photo de lui, pour essayer de pleurer un peu. Paraît-il que je n'ai pas pleuré quand on m'a dit qu'il était mort. J'avais cinq ans, ma sœur deux. Une fois j'ai été voir un psy qui n'arrêtait pas de me dire que j'avais un manque du père, tout ça parce que j'avais mis un coup de boule à Cyril. J'avais dix ans et il avait essayé de me voler mon croissant de la récré. Il a eu le nez cassé et moi on m'a envoyée chez le psy. Il essayait trop de se la jouer figure paternelle, genre je te comprends, tout ça. Moi j'étais bloquée sur son crâne chauve. J'aime pas voir les crânes des gens, on dirait un truc pas humain, une sorte d'œuf des profondeurs, duquel va jaillir une sorte de poulpe ou alors un reptile. Je fixe le crâne comme s'il allait se mettre à bouger puis à craqueler. Un ptérodactyle en émergerait comme dans une BD que j'avais lu une fois.
Enfin bref, ma sœur à Noël a pas eu son Alexa, mais un gros carton sans papier cadeau autour et qui gigotait à l'intérieur. Le suspense était à son comble. En fait non pas du tout, on pensait bien que c'était soit un chaton soit un chiot (ou alors un hamster très vigoureux), j'ai même pensé "un furet", mais ma mère est tout sauf originale et les furets c'est un animal de bobo riche, nous on est tout juste à la fin du mois.
Dans le carton, y avait un chaton. Ma sœur a dit "ha" et elle a sourit, parce que le chaton était trop mignon franchement. Il était tout petit et il plissait les yeux en faisant "miou". Moi j'ai eu un Ipad, parce que je crois que ma mère me préfère, même si elle se ferait trancher en deux plutôt que de l'admettre. Ma sœur le caressait du bout du doigt, comme les gens qui s'en fichent un peu des chats font. Alors je l'ai pris, il tenait dans la paume de ma main, et je l'ai mis dans mon décolleté, il faisait des petits ronrons. Ma sœur a pris mon Ipad "pour voir" et on a passé la soirée, elle a configurer l'Ipad "pour voir" et moi à jouer avec Abricot, j'avais dit à ma sœur, ça te dirait qu'on l'appelle Abricot, vu qu'il était orange comme tout. Elle avait marmonné un "mouais" tout en essayant d'installer Tinder pour voir.
Ma sœur va au collège, et moi je devrais être au lycée, mais j'étudie à la maison, parce que le seul lycée pas trop loin est nul et après c'est Grenoble et il aurait fallu que j'aille à l'internat, mais ma mère ayant connu la pension étant jeune et n'en ayant pas gardé un bon souvenir et moi qui n'avait aucune envie de passer mes semaines loin de chez moi, on m'a inscrite au CNED et je bosse tranquillement sur mon PC chez moi.
Rapidement, Abricot est devenu mon chat et ma sœur avait mis la main sur l'IPAD et l'emmenait au collège en cachette de maman. C'était le deal. Abricot et le silence. J'écris mon exposé sur la seconde guerre mondiale pendant qu'Abricot dort sur mes genoux. Quand je lis un truc sur les camps de concentration, j'imagine que j'y suis avec Abricot et que je le protège d'un commandant Nazi. Après on fait une pause et je joue à lui lancer une grosse pelote de laine mal embobinée et il s'emberlificote les pattes dedans. Je prends des tas de photos, je le mets devant un miroir pour voir s'il se reconnaît et ma parole, je crois bien que oui, même si tout le monde dit que c'est impossible. Genre une fois je lui ai clippé une sorte de barrette sur l'oreille, mais qui ne faisait pas mal, et je l'ai mis devant le miroir. Il s'est regardé et il a touché son oreille avec sa patte, si ça c'est pas une preuve. Je vais révolutionner la science. Je vais créer un instagram "Abricot le chat surdoué". Demain, parce que là je lui donne ses croquettes une à une, pour pas qu'il s'habitue à trop manger.
Un soir, Abricot a quelques mois déjà et ma sœur s'est faite griller plusieurs fois pour l'Ipad, ma mère nous annonce qu'elle a rencontré quelqu'un et qu'elle aimerait nous le présenter.
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Le chat de ma sœur
KurzgeschichtenMa soeur a reçu un chaton pour Noël, mais qui doit s'en occuper ? C'est bibi.