Chapitre 1 : Tachihara

258 25 30
                                    


Cinq fois où Tachihara fut jaloux, et une où il comprit qu'il n'avait pas de raison de l'être.


I.


Un mois.

Cela faisait exactement un mois que Tachihara se demandait ce qu'il ressentait vraiment envers Gin. C'était facile à compter ; de fait, c'était à partir du moment où il s'était rendu compte que 1) c'était une fille, que 2) elle avait une voix magnifique et que 3), « magnifique » s'appliquait en fait à toute sa personne quand elle daignait ôter son masque.

Avant cela, certes, il avait apprécié celui qu'il croyait être son collègue des Lézards Noirs, quitte à se chercher un peu d'un regard noir et d'un éclat de lame ; il avait reconnu son talent d'assassin, sa finesse en mission d'infiltration, sa discrétion à toute épreuve, tant de qualités qui l'avaient haussé, comme lui, au stade de décurion au sein de la Mafia portuaire.

Mais là, c'était complètement différent. Depuis qu'il avait eu la chance de la voir au naturel, un mois auparavant lors d'une soirée entre Lézards Noirs, il n'arrivait pas à se sortir la jeune femme de la tête. Savoir qui était vraiment la personne derrière ce masque et ces vêtements sombres provoquait en lui des pensées contradictoires. Et profondément troublantes.

Il guettait donc, depuis ce fameux soir, les moindres occasions pour en apprendre plus sur elle –et espérait avidement entendre de nouveau le son cristallin de sa voix. Il traînait donc dans les quartiers de la Mafia un peu plus que nécessaire entre ses missions, feignant de faire du zèle (il ne leurrait personne) dans l'espoir de multiplier leurs échanges.

C'est donc avec un tressaillement de joie bien vite refoulé qu'il la trouva présente ce jour-là, installée dans le bureau que se partageaient les dirigeants des Lézards Noirs –Hirotsu, Gin, et lui-même. Elle affûtait ses dagues dans un coin, arborant son apparence de mafieuse ordinaire, à savoir les cheveux attachés dans un chignon désordonné et le masque dissimulant tout le bas de son visage. Seuls ses yeux étaient visibles –deux orbes grises comme ses lames, qui se levèrent sur Tachihara quand il entra.

-Salut, Gin, lança-t-il négligemment. Comment s'est passé la mission ?

Elle s'était vu attribuer une tâche le matin même –égorger un homme d'affaire qui mettait un peu trop son nez dans les affaires de la Mafia. Un jeu d'enfant, pour elle ; et un simple hochement de tête répondit à Tachihara.

Pas très loquace, regretta-t-il pour la énième fois depuis un mois. Il passa une main désinvolte dans sa tignasse et rejoignit son bureau à pas lents, décidant de s'occuper un peu dans les papiers –et, occasionnellement, lancer quelques regards discrets à sa collègue.

Ses pensées dérivèrent au bout de quelques minutes, comme toujours tournées sur cette attirance problématique. Il était dans la Mafia en couverture, pouvait-il vraiment se permettre de développer des sentiments pour une de leurs membres ? Il la connaissait à peine, finalement, et c'était une femme dangereuse –le problème étant que c'était justement ce qui la rendait intéressante à ses yeux.

Il entendit des murmures, et sortit de ses rêveries pour voir qu'ils étaient désormais trois dans le bureau. Akutagawa était entré sans s'annoncer –probablement se déplaçait-il dans les ombres ou quelque chose comme ça, supposait Tachihara. Il était toujours un peu mal à l'aise en sa présence, mais le chien de la Mafia ne semblait pas s'intéresser à eux ce jour-là, se contentant de feuilleter quelques dossiers pour retrouver quelque chose. Gin, assise un peu plus loin, le regardait tranquillement sans cesser d'aiguiser ses armes.

Cinq fois où Tachihara fut jaloux...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant