A l'Académie des Sciences de Londres,
25 Décembre 1938
J'espère que cette lettre, écrite précipitamment, vous parviendra rapidement. L'angoisse et la peur me pressent de fuir autant que l'excitation. Je dois quitter le pays dès que cette lettre sera terminée. Vous trouverez, chers collègues, certains documents que j'estime nécessaires à la compréhension de ce récit en annexe. Le descriptif détaillé qui suit est vrai, n'en doutez pas. Ce serait faire injure aux mémoires de ceux qui ne sont plus là pour que la vérité émerge.
La disparition du professeur Mcfinley, de l'université d'Oxford et le saccage de sa maison, située à la périphérie de la ville, ont fait grand bruit dans le microcosme professoral. Chacun allait de sa considération, fondée sur rien d'autre que l'aspect misanthrope et légèrement paranoïaque du disparu. Il passait peu de temps hors de son bureau, hormis de très rares voyages à l'étranger dont il ne tenait personne au courant, pas même ses élèves ou la direction. Mais n'allant jusqu'à prêter au personnage un caractère aventureux qu'il était très loin d'avoir, on se mit à penser qu'il était sûrement beaucoup plus bizarre que ne le laissait paraître son comportement.
Mcfinley était de ces professeurs pour qui tout ce qui était hors de son champ d'étude était une vaine distraction, pire, une perte de temps. Il avait grandi dans une famille de libraires qui lui avait donné l'amour des livres. Puis de brillantes études en philologie comparée, des rencontres avec des écrivains décadents (comme il y en avait tant dans sa jeunesse) et une ardente volonté de n'être bon que dans ce domaine l'ont poussé à devenir enseignant. Le milieu littéraire classique l'accueillit plutôt chaudement à la fois parce qu'il ne s'intéressait pas aux auteurs contemporains (jugés sans intérêts) et aussi parce qu'il avait tout du professeur de lettres. De petites lunettes rondes montées sur un nez aquilin, une veste en tweed marron et beige, et un corps aussi long que fin faisaient de lui une caricature ambulante.
Il ne s'était jamais attiré d'ennui, des vingt années qu'il avait passées à enseigner à Oxford. Je ne le côtoyais pas beaucoup, malgré la proximité de nos bâtiments et nos matières communes. Le personnage ne m'effrayait pas, mais disons plutôt qu'il me mettait mal à l'aise. Il y avait dans son regard la vague impression qu'il savait quelque chose de primordial qui vous échappait, que vous n'aviez pas toutes les informations que vous étiez en droit d'avoir. Mais nous étions en bons termes lui et moi... Du moins jusqu'à sa disparition.
Il avait été vu la dernière fois en plein centre-ville, pourtant. A une heure avancée de la nuit, des ivrognes quittant un pub l'avaient vu courant, affolé, sur le trottoir opposé au leur. Il criait à plein poumon des phrases que les témoins n'avaient pas reconnu car elles auraient été prononcées dans une langue étrangère. Mcfinley s'engouffra alors dans une ruelle pour ne plus réapparaître.
L'alerte avait été donnée le lendemain matin par sa bonne ; celle-ci découvrit le bureau, à l'étage de la maison du professeur, dévasté en tous sens. Les papiers avaient été dispersés, les bureaux retournés, la bibliothèque vidée de ses ouvrages qui étaient éparpillés à travers toute la salle... Rien n'avait été épargné, pas même la mappemonde qui avait été elle aussi ouverte sans ménagement ! Le plus étonnant était que la bonne, pourtant au sommeil léger, n'avait pas entendu le moindre bruit, ni le verre cassé de la fenêtre ni du saccage barbare du bureau. Ce n'est que plus tard dans la journée que la disparition de Mcfinley fut découverte et mise en lien avec ce que la police considérait comme un cambriolage, bien que l'on ne put déterminer ce qui avait été volé.
L'affaire ne fit pas la une des journaux ; il faut dire que le même jour commençait les pourparlers à Munich visant à éviter que Hitler n'envahisse la Tchécoslovaquie. Mais nous fûmes tout de même très surpris à l'université, de cet événement. Ce n'est que quelques jours plus tard, alors que nous commencions à nous faire à l'idée du « départ » sans retour prochain de notre collègue, que je fus lié à toute cette affaire.
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La chute de Kur-Pal
HorrorLa mort mystérieuse d'un collègue n'était que le prélude à une horrifique découverte...