Sacha se regarda dans le miroir finement ouvragé de sa chambre, et prit une grande inspiration. Il allait le faire.
Il détacha son ruban rose de ses longs cheveux noirs bouclés et le posa délicatement sur la commode. Il leva alors la paire de ciseaux d'une main tremblante, saisit une mèche, et la coupa. Puis une autre. Puis encore une autre. Et encore une. Il se sentait plus léger à chaque claquement des lames.
Au bout d'une dizaine de minutes, quand il eut fini, il se regarda dans le miroir et fit un timide sourire à son reflet, avant de passer sa main dans ses cheveux désormais courts. Bien sûr, la coupe était loin d'être parfaite, mais il se sentait tellement mieux. Fini les cheveux longs et les ornements bien trop féminins à son goût qui lui donnaient tous deux envie de vomir.
Il sursauta en entendant quelqu'un frapper à la porte et cacha vivement les ciseaux dans le tiroir, bien qu'il savait que c'était inutile. Une couronne de cheveux noirs entourait le tabouret sur lequel il était assis.
- Qui est-ce ?
- C'est moi, Madame, Madeleine. Vos prétendants du jour vont bientôt arriver, et vos parents demandent urgemment votre présence en bas. Puis-je entrer ?
Sacha eut presque un haut-le-cœur au « Madame ». Ce n'était pas le moment pour ce genre de choses, même si sa coupe l'avait apaisé un peu. Son apparence et son corps féminins l'avaient toujours rendu malade, mais à certains moments, c'était pire. Le sentiment grandissait parfois jusqu'à l'engloutir, comme une vague noire, parasitant ses pensées jusqu'à ce qu'il ne puisse plus penser à autre chose.
Il inspira doucement plusieurs fois pour essayer de se calmer, et fit rentrer sa dame de compagnie. De toute manière, il ne pourrait pas cacher ce qu'il avait fait.
Madeleine se précipita vers lui.
- Mon dieu, qu'avez-vous fait à vos cheveux ?? Et vous êtes toute pâle, tout va bien ? Vous avez encore eu une de vos attaques de panique ? Voulez-vous que j'aille chercher un médecin ?
- Calme-toi, je vais bien. Si j'ai coupé mes cheveux, c'est pour... Lancer une nouvelle mode, improvisa-t-il pitoyablement.
Sa dame de compagnie soupira. Bien sûr qu'elle ne croyait pas ce mensonge ; elle connaissait le prince depuis qu'il était tout petit.
Elle s'approcha et épousseta ses épaules et sa nuque.
- Laissez-moi au moins rendre cela présentable. Donnez moi les ciseaux que vous avez utilisé.
Sacha détesta la pitié qu'il y avait dans son ton. Même elle pensait qu'il avait un problème mental. Oh, il savait que c'était le cas de tout le monde. Il avait surpris une conversation entre le médecin royal et ses parents, après qu'il ait craqué dans le petit salon, et jeté son ouvrage de broderie au sol en criant qu'il ne voulait plus être une fille. Son diagnostic ? Soit il souffrait de folie légère, soit il était victime d'un sort, d'une malédiction.
Bien entendu, ses parents s'étaient précipités sur la dernière proposition. L'enfant royal ne pouvait pas ne pas être normal. Alors, dès ses 16 ans, ils avaient fait tout pour précipiter ses fiançailles. En effet les baisers d'amour rompaient tous les sorts, n'est-ce pas ?
Cependant, les deux souverains avaient beau insister autant qu'ils voulaient sur cette histoire de malédiction, les rumeurs de maladie mentale persistaient cependant, dans les recoins du château et du royaume, décrédibilisant le futur héritier.
Et Sacha dans tout ça ? Il n'en savait trop rien. Maladie ? Malédiction ? Tout ce qu'il pouvait dire, c'était qu'il était lui. Cependant, en un sens, il espérait aussi que tout cela ne soit qu'une malédiction... Seules ces dernières peuvent être définitivement levées. Et c'était la seule solution qu'il voyait pour l'instant pour mettre fin à son mal-être.
Alors il laissait faire ses parents.
Sacha ouvrit le tiroir et lui donna les ciseaux, n'ayant pas l'énergie de lutter, et dix minutes plus tard, sa coupe était plus régulière, plus "présentable", selon Madeleine. Cette dernière entraîna alors le prince jusqu'à la salle du trône, où ils allaient recevoir les prétendants du jour.
La reine se précipita vers lui dès qu'elle le vit et arrangea un peu sa robe, avant de seulement remarquer l'absence de cheveux longs. Elle jeta un regard interrogateur à la dame de compagnie, et cette dernière lui répondit de la même façon, secouant la tête l'air de dire: "C'est encore cette maudite chose qui agit sur votre fille, madame."
- Bon, tant pis pour ses cheveux, soupira la souveraine.
Elle se tourna alors vers son enfant.
- Sacha, aujourd'hui ton prétendant est du royaume de Lonuri. Ils se sont soudainement montrés intéressés alors qu'ils préféraient jouer cavalier seul ces dernières années. Ce qui veut dire qu'il s'agit d'une occasion en or. Leur royaume est immense et plein de ressources.
- Mais, mère... Ne penses-tu pas qu'ils aient une raison derrière leur revirement soudain ? C'est tout de même étrange. Ils veulent sûrement un accès à notre magie, ou...
- Bien sûr qu'ils ont une raison, le coupa la reine. Tout le monde a ses raisons en politique. Mais il ne tient qu'à nous de saisir cette chance qu'ils nous offrent sur un plateau d'argent. Nous avons l'avantage. Ne nous déçois pas.
Sacha acquiesça en fermant les yeux quelques secondes. Comme pour se protéger.
- Oui, mère.
Il alla s'installer sur le trône qui lui était réservé auprès de ses parents, et attendit leurs invités du jour. Il supposait que, comme chaque fois, ils allaient rester un jour ou deux, faire connaissance autour d'une partie de thé, danser au bal, et puis repartir pour attendre une éventuelle réponse positive. Réponse que Sacha n'avait encore jamais envoyée à personne, et qu'il avait encore moins de raisons d'envoyer à ce fameux prince.
Bientôt, la cour étrangère fit son entrée en grande pompe. Elle déployait le grand jeu pour impressionner leur ancien ennemi. De nombreux acrobates et danseurs virevoltaient avec des vêtements richement colorés et ornés de motifs, et des serviteurs portaient des plats d'or remplis d'argent ou d'épices. Mais ce qui surprit le plus Sacha fut la couleur brune chaude de peau qu'ils arboraient tous. Parmi la blancheur de tous les habitants du royaume à laquelle le prince était habitué, ils se démarquaient vraiment.
Le couple royal finit par apparaître, semblant fendre la nuée de couleurs. Ils avançaient d'un pas fier, lentement mais sûrement. Ils étaient suivi par celui qui devait être leur fils, et par conséquent le prétendant de Sacha.
Ce dernier était presque fasciné par les cheveux réunis en dreadlocks soignés de l'étranger, qui devaient probablement lui arriver au dessus des épaules en temps normal, mais qui étaient actuellement attachés soigneusement derrière sa tête. Il se demandait quelle texture ils devaient avoir, tout comme pour les vêtements qu'ils portaient. Sacha n'avait jamais vu ce genre de tissu, ni même cette manière de s'habiller.
Le roi et le prince portaient des sortes de longues chemises noires, aux motifs d'or ouvragés autour du bout des manches, ainsi qu'autour du col et qui descendaient un peu sur leur torse. Ils portaient également un pantalon assorti, et le plus jeune arborait de grandes boucles d'oreilles d'or. Quant à la reine, elle portait une longue robe près du corps du même style que les vêtements de son époux et son fils. Enfin, leur tête à tous les trois était ornée d'une délicate couronne.
Le porte parole s'avança pour les annoncer :
- Les souverains de Lonuri, la reine Wajida Ydrissi, le roi Isha Ydrissi, ainsi que leur fils, le prince héritier Iye Ydrissi !
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Le Prince de Soie
FantasyIl était une fois un prince, qui portait de belles robes et des bijoux. Un prince, qui avait des hanches larges, une taille fine, et une poitrine. Un prince que personne ne voyait comme tel. Il vivait dans un royaume gorgé de magie, plein d'émerveil...