L'Animiste des Glaces

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Dieu aimait inventer et s'amuser

Un jour d'ennui, il créa un miroir en gelant un lac de montagne. Ce miroir embellissait tout ce qu'il reflétait. Dieu trouva cela joli.

Pendant un temps.

Puis il se lassa et abandonna l'objet dans un recoin de la Maison.

Bien des années plus tard, il retrouva le miroir délaissé. Une idée lui vint alors. Il récolta des larmes et les étala sur la surface réfléchissante. Le miroir absorba les pleurs. Cela le modifia profondément. Jusqu'à alors, il présentait aux yeux des gens la meilleure version d'eux-mêmes. Maintenant, il reflétait une version malsaine de tout ce qui l'entourait.

Et cela amusa follement Dieu. Il incitait toutes les personnes qu'ils croisaient à regarder le miroir, et se délectaient de voir leurs peurs et leurs hontes mises à nues.

Dieu fut puni. Le miroir lui fut ôté et caché au sein des songes.

*****

Ophélie volait au-dessus d'un monde uni, le monde d'avant les Arches. Elle poursuivait une ligne d'horizon qui rien ne venait briser.

Soudain, un bruit de déchirure fendit l'air et la terre, comme si on arrachait la page d'un livre. Des bribes de monde s'éparpillèrent en s'élevant, pendant que des forêts denses, des villes immenses, et des montagnes abruptes s'abîmaient dans le néant.

Quand le vide eut tout avalé, il recracha un brouillard épais, un amas dense de nuages comblant les écarts entre chaque Arche esseulé. Ophélie y plongea.

Elle entra dans un monde gris et froid, au sein duquel des ombres humaines évanescentes erraient parmi de grands miroirs tremblotants. Quand Ophélie regardaient l'une de ses surfaces, elle s'y voyait parfaitement, son reflet incrusté dans des paysages qui lui étaient inconnus.

Il y avait un miroir que les silhouettes évitaient. Il lévitait seul, suspendu au centre du monde. Il renvoyait à Ophélie l'image d'une jeune fille perdue au milieu d'une brume cendre ; une jeune fille sans attrait, dont les cheveux sans éclat cachaient un visage aux traits grossier et dont les yeux éteints manquaient d'intelligence.

Quand elle s'approcha du miroir pour tenter de le traverser, le sol inexistant céda sous ses pieds et elle se réveilla en sursaut au fond de son lit, engoncée dans une épaisse couverture.

Elle refit souvent ce rêve, errant seule au milieu d'êtres indistincts. Souvent, une curiosité malsaine l'attirait vers la glace paria. Parfois, elle faisait tout son possible pour s'en éloigner, entrant aléatoirement dans les miroirs aux beaux reflets. Mais tous ces chemins aboutissaient toujours au même point. Elle se retrouvait face à cette Ophélie insipide et terne, celle qu'elle se sentait être dans ses jours de tristesse et de solitude. Fascinée, horrifiée, elle ne parvenait pas à détacher ses yeux de cette image. Le dégoût et la honte la submergeait. Quand, voulant disparaître, elle se penchait vers la surface réfléchissant pour s'y plonger, le rêve se dissipait et la réalité reprenait consistance. Pourtant, le gris de ses rêves semblait teindre peu à peu le monde dans lequel Ophélie évoluait, le privant de couleurs et de joies.

Mais un jour, la colère de se voir si faible la submergea. Elle serra fort ses poings et frappa son reflet avec la force du désespoir. Une fissure partant de sa tête et se terminant entre ses pieds la sépara en deux. Elle s'écarta et se ramifia jusqu'à recouvrir toute la surface de verre. Pendant un instant, plus rien ne bougea.

Puis le miroir se brisa.

Elle vit les éclats miroiter et se disperser, projeter par milliers vers les silhouettes errantes. Elle tendit les mains pour essayer de les rattraper. Elle ne parvint qu'à se couper les doigts. Les morceaux blancs se fondaient dans les ombres noirs.

L'animiste des glacesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant