Paul avait beaucoup à faire. C'était la veille de Noël, et cette année, c'était chez lui que les festivités allaient se passer. Il n'avait toujours pas acheté la dinde, l'épicier n'avait plus de marrons glacés en stock, le vase qu'il comptait offrir à sa mère s'était cassé et sa voiture était en tombée en panne. Il ne pouvait donc plus compter que sur ses pieds pour arriver à temps au dernier magasin ouvert de Regent Street. Il pressa le pas, la nuit commençait déjà à tomber et il pensait à sa sœur Lucie qui l'avait invité pour un dîner « pré-Noël » dans son appartement. Il franchit la porte de la supérette tel un coureur de marathon face à une ligne d'arrivée. Une minute plus tard, il en ressortit les bras chargés de sacs en papier kraft contenant tout le nécessaire pour sauver ses fêtes de fin d'année. Il se félicita de son efficacité: il ne lui resterait plus que la bûche glacée à acheter le lendemain.
Dans un bruissement de papier froissé, il reprit son chemin d'un pas assuré, laissant son esprit vagabonder au rythme des chants de Noël que les haut-parleurs diffusaient en continu. La lumière agressive d'un panneau publicitaire attira alors son regard, vantant les mérites de Londres, « La plus belle ville pour passer Noël ! »
Paul était persuadé que ces écrans que la mairie avait généreusement parsemés sur la ville ne pouvait que l'enlaidir. Heureusement, ce n'était pas cette petite contrariété qui allait le miner face à la perspective du très prochain repas de Noël en famille.
Il arriva bientôt devant l'immeuble où sa sœur vivait avec son fils. En un clignotement de guirlande lumineuse, Paul fut devant la porte de l'appartement. Lucie lui ouvrit prestement, accompagnée des cris de joie de William. Un bonne odeur de crumble l'enveloppa bientôt. « C'est le fête, dis-donc! » s'exclama-t-il. Elle se mit à rire: « toujours ! » Après s'être débarrassé de son manteau, Paul pu profiter avec sa sœur et son neveu d'un repas délicieux.Après le dessert, William demanda à sortir de table. Lucie et Paul restèrent dans la cuisine, à faire la vaisselle et à discuter de choses sérieuses.
William colla son nez contre la vitre glacée. Il venait de faire une découverte sensationnelle. Il resta quelque temps silencieux, le visage aussi lumineux qu'un panneau publicitaire. Il attendait encore un peu pour trouver le moment où son annonce ferait le plus d'effet. Un blanc se glissa lestement dans la discussion des adultes. C'était le moment: « Regarde maman! Il neige! » Lucie termina de sécher le verre qu'elle avait entre les mains avant de se tourner vers la fenêtre à son tour. Elle poussa un cri d'exclamation quand elle vit le ballet voluptueux des flocons virevoltant au dehors. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas neigé. Elle permit à son petit garçon s'ouvrir la fenêtre afin de profiter pleinement de ce spectacle.
Plus tard dans la soirée, la neige continuait de tomber, William était couché. Lucie était assise au piano, occupée à tapoter les touches. Paul tournait consciencieusement les pages de son journal. Les notes que Lucie jouaient emplissaient la pièce. Mi, fa, sol. Elle releva soudainement la tête vers son frère, la musique s'arrêta net.
« Paul ? » commença-t-elle. Il tourna son regard vers elle: « oui? »
Lucie continua: « T'es tu déjà posé la question de savoir si, quelque part, près de nous, là-haut peut-être, une force invisible existait. Quelqu'un ou quelque chose qui pourrait influer sur le cours de notre vie, comme ça. Retourner le monde à sa guise. Je pense à toute cette neige... Il n'a jamais neigé autant depuis des années, c'est étrange tu ne trouves pas? » Paul se mit à rire: « Voyons Lucie, je ne crois pas que la météo puisse être régie par une puissance supérieure... Les fêtes de Noël te montent à la tête on dirait! »❄️
« Alex, à table! » Le petit garçon reposa la boule à neige sur sa table de chevet. Il s'amusait à la retourner depuis quelques minutes, hypnotisé par le ballet incessant des flocons. Le nuage de billes de polystyrène allait encore rester quelque temps en suspension, une tempête calme et silencieuse, recouvrant de son voile immaculé la ville de Londres miniature. Il éteignit la lumière de sa chambre avant de rejoindre sa mère dans la salle à manger. Au même moment, la nuit recouvrit Londres.
La lumière émanant de la boule à neige perçait faiblement l'obscurité de la chambre du petit garçon. « La plus belle ville pour passer Noël ! » brillait encore plus fortement à travers le verre.
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Londres sous la neige
Short Story« C'est la belle nuit de Noël » Venez découvrir un petit bout de Londres sous la neige !