Paris enneigé

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Il se trouvait sous la neige, regardant d'en bas les flocons s'écraser, emmitouflé dans un manteau cintré. Paris couverte de son voile blanc, disposée à épouser le premier prétendant.
Eliott errait dans les rues à la recherche d'une distraction. Il fuyait la vie étouffante de sa famille trop centrée sur les principes contraignant et structurant la trépidante vie de nobles du XIXeme siècle.
Ainsi Eliott préférait errer dans la neige par les jours festifs de décembre plutôt que de célébrer les fêtes chrétiennes que ses parents tenaient comme sacrées même si elles étaient détournées de leur sens.
Et alors qu'il pestait intérieurement sur l'utilité d'une fête d'origine païenne et réutilisée par l'église, et à plus fort titre par les bourgeois qui voulaient se donner de l'importance oubliant le sens du mot partage que devait signifier cette fête, il sentit une douce odeur chatouiller son odorat.

Il n'était pas rare que le vent porte les douces odeurs de la confiserie du coin, et que la curiosité pousse les uns et les autres à la vitrine de l'artisan. Et si ce n'était par gourmandise, c'était véritablement par admiration que les bambins comme les adultes s'agglutinaient dans la boutique. Des jeunes gens s'y bousculaient également pour acheter les étrennes pour ses dames, de nouveaux bonbons proposés par l'artiste de l'échoppe, aux noms souvent évocateurs aux grâces, le bonbon des muses, ou encore le sommeil de l'amour. Mais Eliott ne s'était pas dirigé vers la boutique pour les nouveautés, s'il était venu, c'était pour les sucres d'orge. C'était sa tradition, chaque année il allait en acheter lorsque l'odeur des friandises venait à ses narines.

Cela lui rappelait ses jeunes années, certes il n'avait que 19 ans, mais il se considérait d'ors et déjà comme un adulte responsable loin de l'enfant innocent qu'il était. En tout cas, les sucres d'orge étaient un souvenir doux qu'il partageait avec son meilleur ami, ce qui le renvoyait 12 ans en arrière, lorsqu'Eliott et son ami, nez collés à la vitrine, avaient découverts le bonheur des sucres d'orge. Le confiseur était amusé de les voir ainsi chaque jour, attirés tels des aimants. Un soir, alors que les deux garçons riaient et admiraient l'orfèvre, l'homme leur fit cadeau du précieux met. A jamais Eliott se souviendrait de la joie qui l'avait étreint, et des étoiles dans les yeux de son ami.

Aujourd'hui, il regrettait ces jours passés, l'odeur et le goût des sucres d'orge agissaient comme un renvoi direct au passé révolu. Son ami l'avait quitté, parti tel un aventurier en soif de découvertes. Il se retrouvait donc aujourd'hui avec l'amertume de la solitude. Il aurait aimé un confident, dans cette nuit de décembre. Il aurait aimé une épaule sur laquelle s'appuyer dans les dures disputes avec sa famille. Il aurait aimé une aide pour voler de ses propres ailes.

Ses pas l'avaient menés dans les rues animées où se mêlaient le peuple et la bourgeoisie, des bals populaires se tenaient parfois, mais aujourd'hui régnait plutôt une douce ambiance religieuse et familiale. Les enfants de chœur entonnaient des chants de Noël, les mères tenaient leurs petits par la main, les hommes marchandaient des produits à faible coût, et les âmes guillerettes couraient et dansaient en petits groupes, jouant à des jeux sans doute amusants.

Eliott avançait sans entrain dans cette foule festive, ignorant les statuts sociaux, ignorant la joie, se contentant de marcher.
Il fut interpellé par une femme, entourée d'un gilet de laine, qui jouait de la flûte traversière. Elle était habillée si noblement, dans ce milieu si hétérogène, que le contraste surpris Eliott. La demoiselle se sentant observée baissa sa flûte et un sourire s'étendit sur ses lèvres.

« Si vous êtes si charmé par ma musique, vous pouvez me payer je vous en serai gré. »

Un rire cristallin s'échappa de sa bouche, Eliott ne savait que penser.

« Vous ne devriez pas rester ainsi dans les rues, vêtue d'une robe de soirée et d'un simple châle de laine dans cette neige. Finit-il par dire ne répondant pas réellement à sa phrase.

Vous vous inquiétez ? Que vous êtes aimable ! Ou alors seriez-vous un de ces hommes aux pensées vicieuses ??? Je ferais mieux de retourner avec la foule ! »

Il n'eut pas le temps de répondre que la jeune femme partit en courant ses affaires sous le bras, claquant ses talons et riant telle une enfant.
Eliott resta interloqué par ce comportement. La jeune femme était si à l'aise en parlant à un étranger, et elle était si étrange ainsi vêtue sous la neige à jouer de la flûte. Aussi le jeune homme resta figé quelques instants sans réactions.

Les sucres d'orge de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant