La folie est par définition psychotique, mais il existe une névrose qui, sous certaines conditions, peut s'apparenter à la démence : l'Angoisse. Dans sa forme courante, elle n'est qu'un stress exacerbé causé par une crainte tangible. Mais lorsque la boîte de Pandore est ouverte, ses maux et formes se répandent par milliers.
Certains terreaux sont plus susceptibles de faire proliférer l'Angoisse. L'introversion est l'engrais le plus efficace, car il est riche en ruminations, en auto-persuasions et en conclusions hâtives. En peu de graines semées voilà déjà l'injuste terre craquelée devenue nourricière ! De là, l'effort est fini, la négativité qui fleurira se nourrira d'elle-même : le névrosé deviendra angoissé d'être angoissé, et négatif d'être négatif. La boucle est bouclée.
Elle tient de la folie que l'égaré alimentera lui-même le cycle, adaptant ses refuges en tombeaux et renforçant ses traits érémitiques, bien inconscient de sa maladresse. De nouvelles sources d'angoisses perceront la terre pour remplacer les rares fanaisons, étouffant rapidement le champ. Voici en conséquence un autre type de plante, plus toxique encore : l'Angoisse irrationnelle.
Véritable pont entre psychose et névrose, l'Angoisse irrationnelle ouvre la porte à l'Anxiété lancinante, soit l'apothéose du jardin. Seule une terre essorée peut l'accueillir, car la fatigue et l'affaissement de la confiance en soi sont des prérequis. Cette plante inédite diffuse, en éclosant, des pensées singulières : de la crainte de la folie à la crainte de la perte de contrôle, ce qui aurait jadis fait ricaner devient une éventualité. Un risque imaginaire, mais un risque bien réel pour le bagnard. Son esprit devient un cachot où ses pensées se fondent en aboiements de geôlier. Il se couche et se réveille en alerte avec les mêmes songes, le même effroi dans chaque veine. La peur renforce les barreaux protégeant désormais le monde extérieur, et la vie se floute en un concept duquel il se souvient vaguement.
Mais il n'y a d'entrave infaillible ! L'évasion est longue et houleuse, mais demeure possible. Des processus sont à mettre en place : la déconstruction des craintes que l'on a conçues et nourries doit s'opérer en premier. Les pensées n'ont de dangereux que le danger qu'on leur prête, et avant l'Angoisse elles n'en avaient aucun ; il faut donc revenir à l'ancienne façon de les appréhender. Puis reviendra la confiance en soi et en sa sanité mentale ; le bagnard relogera sereinement dans son esprit et l'Angoisse sera identifiée comme intrus. Reste alors la séparation finale, l'adieu du prisonnier à sa cellule ; la peur, perçue comme garde-fou, doit être abandonnée. Il s'agit de l'ultime épreuve.
En tout temps notre jardin peut se gangrener. Car de nous-même nous sommes tous prisonnier, ce qui nous différencie n'est que la façon de ressentir notre bagne.