Souvent ce mot raisonnait dans sa tête : Ailleurs.

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Souvent ces mots raisonnaient dans sa tête : un jour je partirai ailleurs

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Souvent ces mots raisonnaient dans sa tête : un jour je partirai ailleurs.

Prendre l'avion, le métro, se perdre dans sa ville, se lancer à l'aventure pour quelques instants ou à jamais, tels les grands explorateurs en route vers les terres inconnues.

Rêver d'ailleurs, d'une autre vie, d'un autre lieu, d'un autre corps, explorer l'inconnu du temps, de l'espace.

Le vieil homme s'assit, fatigué.

Les yeux fermés, il repensa à sa vie, toutes ces années.

Ailleurs !!!!

L'école. Sur ces bulletins : « Bons résultats dans l'ensemble mais dommage qu'il soit souvent ailleurs, les résultats en pâtissent ».

L'odeur de la craie, l'encre sur les doigts, la cour de récré et tous ses camarades ; parfois c'était bon de rêver. Son esprit s'évadait : la chasse aux lions dans la savane, compagnon d'Ulysse à Troie, que d'aventures il s'inventait alors pendant les cours de mathématiques !

Loin de l'école, un autre lui, ailleurs.

L'armée : Son service militaire, les brimades, les ordres auxquels il fallait obéir sans réfléchir, les brimades, l'envie de prendre la porte et de s'enfuir, de courir loin et d'aller ailleurs.

Son engagement pendant la guerre. L'odeur de la peur, de la terre et du sang. Les tirs, les cris, il fallait courir vite. Se battre pour survivre.

Le soir, quand la journée avait était trop dure et que les combats avaient cessé, avec les gars ils se racontaient leurs vies d'avant, leurs rêves et leurs espoirs de vie ailleurs, loin du feu, de la peur, de la mort.

Se retrouver ailleurs, loin de cet univers de mort, retrouver sa famille et ses amis, se promener dans les chemins et courir dans les champs, s'allonger, réfléchir en regardant les nuages dans le bleu du ciel et s'envoler tel un oiseau.

Il fallait garder espoir pour survivre et s'inventer des histoires pour oublier cet enfer.

Il se tourna vers la bibliothèque, vers la collection de médailles durement gagnées, le prix du sang, de la sueur et de la peur.

Après la guerre, celle qu'on appelait la grande : l'espoir, les années folles, la danse, les fêtes, l'alcool, tous ces moyens qu'il avait alors trouvés pour s'évader, oublier l'horreur des champs de bataille, l'odeur de la mort qu'il avait vu passer si proche de lui mais qui l'avait épargné et lui avait laissé la chance à lui d'une autre vie, meilleure et d'un ailleurs.

Toutes ces années, cette vie qui passait en douceur.

Et puis un jour, une grande décision, changement de vie, de pays, d'horizons. Le désir de fuguer envahit son esprit : il eut envie de s'inventer une autre histoire dans un pays étranger où il pourrait se reconstruire.

Enfin il parviendrait à assouvir cette soif qui avait été son moteur durant toutes ces années : sa soif d'ailleurs, d'autres paysages, d'autres visages.

Il était jeune et fort alors, il n'hésita pas à s'épuiser, à planter des orangers dans une terre aride et sous un soleil de plomb.

Il les vit pousser, cueillit leurs premiers fruits.

Sa vie fut agréable alors dans cet ailleurs qu'il s'était construit à force de travail et d'obstination.

Désormais son corps était fatigué mais son esprit était aussi dur que le béton. Comme c'était bien d'être parti, d'avoir refait sa vie, ailleurs !

Et puis une autre guerre, encore des pleurs, la peur et un nouveau départ, il lui avait fallu une fois de plus tout abandonner et s'en aller vers un autre ailleurs.

Que de souvenirs, cette vie pleine de joie, de rencontres, de voyages, comme elle était agréable !

Ailleurs, toujours ce mot, il se sentait de plus en plus fatigué, vieux.

Le bout du voyage arrivait, il le sentait. Un départ vers un ailleurs dont il ne reviendrait pas.


Le vieil homme s'envolerait, loin du sol de la terre, où continueraient à pousser ses orangers, dans le ciel, au milieu des étoiles immenses, alors que son cœur à lui, se serait arrêté de battre.

Cette fois, encore, il partirait ailleurs.


AilleursWhere stories live. Discover now