Une odeur âcre s'élève dans les airs tandis qu'une dizaine de personnes accourent dans tous les sens. On se croirait dans un tournage télévisé où les comédiens doivent jouer un rôle précis. Un client se précipite vers la sortie, tandis qu'un employé se jette vers le robinet le plus près une chaudière à la main. Une fumée épaisse alourdit la cuisine et une tempête de cris s'abat dans la pièce.
- Alex ! Ferme le rond bordel !
- Je peux pas ! J'vais m'ébouillanter ! C'était quoi l'idée de faire chauffer l'huile sur le feu, criss ?
Rosalie, sachant très bien qu'elle est la seule responsable de tout ce désordre penche la tête en signe évident de culpabilité. Il faut dire qu'elle et la cuisine font deux... Elle avait déjà vu son père faire cuire de l'huile sur le feu et ça semblait tellement simple. L'erreur est humaine, comme lui dirait-il. Sauf peut-être quand on met le feu à un restaurant.
La voilà qui travaillait désormais comme aide-cuisinière pour arrondir ses fins de mois suite à son licenciement comme journalière dans une usine de papier pour ''faute d'être ponctuelle''.À l'aube de ses vingt-cinq ans, elle quitta son fiancé avec qui elle partageait sa vie près de trois ans après avoir découvert qu'il se tapait une maitresse au moins dix ans plus âgée qu'elle, ayant lui-même à peine vingt-huit ans. Évidemment, il ne lui aurait probablement jamais avoué si ce n'était de sa meilleure amie Maude qui le vit entrer dans un hôtel bon marché suivi d'une blondinette dodue. Il s'était donné tant de mal à lui faire croire que ce n'était pas ce qu'elle croyait... Un classique qui ne semble jamais se démoder avec le temps. Il travaillait dans la restauration et il lui avait recommandé ce poste il y a environ deux ans puisqu'il connaissait bien le boss. Étonnement, tout se passait assez bien pour elle si l'on oublie ses nombreux retards ou encore les fois où elle faillit se battre avec l'un des cuisiniers. Après tout, il l'avait cherché avec ses nombreux sous-entendus et ses commentaires désobligeants.
Simon, un cuisinier qui y travaillait depuis près de 10 ans se croyait supérieur à tous et aimait bien le rappeler aux autres. Trente-sept ans, cheveux bruns, assez beau garçon, toujours habillé simple, mais élégant.
- Non, pas comme ça ! lançait-il avec les yeux qui roulaient vers le haut d'un ton hautain.
La dernière fois, Rosalie en a eu assez et lui jeta une tranche de pain qui le happa à l'arrière de la tête après qu'il soit retourné à son hamburger. Ce n'était pas lui qu'elle visait directement, mais après tout il le méritait tout de même. Il se retourna avec un regard noir.
- Toi ! J'te jure que...
- Hé, qu'est-ce qui se passe ici ? cria Martin qui venait d'arriver dans la cuisine.
Tous ceux présents, clients compris, regardaient la scène, amusés malgré la colère montante de Simon. La plupart des employés évitaient simplement d'avoir à faire à lui, s'activant à leur tâche routinière.
Le Martini, dirait certains, est un bâtiment ancien qui aurait dû être démoli il y a déjà bien longtemps. Son infrastructure peu harmonieuse est d'une laideur qui éponge de nombreuses plaintes de ses boutiques voisines, certains allant jusqu'à parler de nuisance à leur réputation. Sa devanture jaunie par le temps décolore grossièrement avec la porte d'un blanc cassé.
Martin, le directeur de la place dont son père fonda le restaurant en 1952 – anciennement une boutique de cordonnier - était aujourd'hui trop vieux pour y travailler, du moins l'excuse qu'il avait pêché. Rosalie connaissait bien des gens de soixante-cinq ans qui vivaient encore très bien leur vie avec un métier bien plus exigeant que de beugler des ordres. Ce bougre vint s'appuyer sur le comptoir là où une cinquantaine de clients viennent passer leur commande quotidiennement et fixa Simon de ses yeux bruns. C'est à celui-ci, le petit fils chéri que revenait ce fardeau puisque tout le monde savait que le restaurant était au bord de la faillite.
Bien trop souvent, les promesses d'un héritage familial au travers le temps ne perdure guère longtemps, la concurrence se faisant de plus en plus forte, sournoise même. Les plus grands mangent les petits. À moins d'avoir de la chance, si vous n'étiez pas de ceux qui nait une cuillère en or dans la bouche, vous pouviez déjà remballer vos projets avant même avoir mis la clé dans la serrure.
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Paranoia
Mystery / ThrillerRosalie, anorexique, vit seule avec sa chatte Minette. Dépressive de nature, elle se bat contre ses démons et ne fait pas toujours les bons choix. Mais lorsqu'elle commence à se douter qu'on lui veut du mal, elle cherche par tous les moyens de trouv...