Paranoia

Chapitre 2

Elle flotte dans un étrange liquide épais qui emplit sa gorge. Elle se tord, le corps s'agitant dans un mouvement lent. Quelque chose l'aspire vers la lumière qui lui crève les yeux. Ses tympans bourdonnent et son nez vient s'écraser contre de la chair molle. Une douleur vive à la tête et la voilà qui découvre le monde pour la première fois.
Un son guttural fait vibrer ses cordes vocales et une odeur écœurante s'enfonce dans ses narines.

- Quelle horreur!

Une flaque rouge et visqueuse s'écrase sur le sol et un homme vêtu de blanc se penche vers la chose qui pend entre des jambes marbrées de veines saillantes.

- Sortez cette chose! Hurle la femme, les pieds coincés dans un étrier.

- C'est... Oh mon dieu! Le médecin traitant désormais immaculé de sang recule, paniqué.

Soudain, la chose qu'elle est devient liquide, fond à l'intérieur et s'écoule telle une fontaine de sang.

La chose passe au corps de la femme et voit par ses yeux. Elle se trouve dans une pièce étouffante, entourée d'autres corps voilés d'une couverture blanche sur des civières de métal rouillée tel un rituel satanique. Les murs n'en sont pas, il s'agit plutôt de l'antre de quelque chose qui vit et qui respire. Ses parois semblent se refermer, puis se gonflent de nouveau dans un gémissement de désespoir.

Trois infirmières entrent dans la salle. La première a le visage fendu en deux, un liquide jaunâtre s'écoule de la plaie, la deuxième a un garrot enserré autour du cou et la troisième affiche un sourire béant de ses lèvres épaisses. Elles s'avancent en chantant une berceuse de leur voix grinçante.

« Des idées sombres et des remords

Toi tu fais chanter l'univers

Petit diable aux cheveux d'or »

- Poussez, Madame. Le médecin s'est avancé de nouveau, rassuré par la présence des trois infirmières.

- Je ne veux pas!

- POUSSEZ! hurle-t-il.

La chose n'étant que spectatrice se voit en train de pousser dans un cri qui vient se mêler au chant.

« Dans ton berceau de lumière

Tu t'envoles loin de nous

Où tous les enfants de la terre

Dansent avec les fées et les loups »

Du sang jaillit sur le médecin. Un rictus terrifiant dessine ses traits, ses yeux jaunes s'illuminent d'extase.

- Ouiiii! Ouiii!

Les infirmières se tiennent désormais par la main, les yeux révulsés vers le haut.

Puis, le regard perdu de la femme se fige à tout jamais.

Rosalie se réveille, trempée de la tête au pied. La mince couverture est mouillée et colle à sa peau. Sa tête veut exploser et ses yeux sont poignardés d'une lumière beaucoup trop intense. Tant bien que mal, elle se redresse à l'aide de ses mains et s'assoit, le dos voûté. Elle est vêtue d'un chandail ample noir tout aussi détrempé qui lui sert de jaquette et qui vient couper sur le haut de ses cuisses. Dégoûtée, elle le retire et le jette sur le tapis qui recouvre entièrement le plancher.

Un cadre rectangulaire représentant un paysage montagneux de bleu et de gris attire son attention. Elle a une impression de déjà-vu...

Rosalie reluque la pièce à la recherche d'indices qui pourrait lui permettre de comprendre où elle se trouve. Une commode faite de bois et un bureau y sont juxtaposés où de nombreux bijoux pendent au recoin d'un miroir. La chambre peinte en jaune est d'une propreté impeccable.