Sans attache

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Lui écrivait. Savait écrire. Mais n'écrivait pas sur lui. Son domaine, c'était l'abstraction, l'intelligible, le grand. On ne romance pas avec les comme lui. Faire autre chose que du réel en sa présence était fortement déconseillé. Ses paires avaient pour habitude de le moquer, il avait toujours été seul, et le voir accompagné aurait été une première. Pour eux du moins. Il y répondait légèrement, en souriant. Quelle importance ? C'était un conquérant, mais du soir, et du soir uniquement. Là aussi il s'agissait de faire du réel. Les types comme lui ne cite Voltaire que pour justifier leur libidinosité. Voilà une chose à laquelle on s'affaire quand on a compris que l'on ne changerait rien à ce monde dans lequel nous ne sommes qu'une particule : coucher. On couche, et le plus régulièrement possible. Ça, Romain l'avait saisi, et depuis quelque temps. Il était talentueux coureur. Regard respectueux mais explicite, souvent accompagné d'une phrase - d'auteur, c'est mieux - et on pouvait dire que c'était fait. Même un numéro le satisfaisait, de toute façon, le travail était amorcé. Ne manquait plus que la signature.

Romain était un arrogant, et conscient de l'être. C'était sa manière à lui de se protéger, de subsister au milieu de ce monde plein et lourd. Son moi rêvait d'être seul, et c'est peut-être pourquoi il percevait ses relations comme des consommations ; car si la consommation a bien un trait immuable, c'est sa temporalité. Par elle, tout devient passager, effaçable. Mais, ce qu'il y a de remarquable chez Romain, c'est que l'éphémère n'empêche pas, au contraire, il encourage.

Il mettait sur papier ce que ses détours empiriques lui apprenaient. Chaque labeur appelait une discussion. Et celle-ci, souvent brève, classique, lisse, autrement dit, à l'image des entretenues, venaient confirmer copieusement ce que pensait déjà Romain du genre humain, et peut-être plus particulièrement des femmes. Sa vie se dessinait autour d'un grand mépris auquel il se sentait éminemment condamné. Ce n'était pas un sapiosexuel, son désir portait avant tout sur la chair. Néanmoins, il n'était pas exclu de visiter les personnes, et de les étudier. Ce comportement était poussé par de grandes questions : allait-il finir par se lasser de ces rapports ? Auquel cas, comment occuperait-il ses soirs ? Ou, un jour, une rencontre le convaincrait-il de cesser son errance ? Selon Romain, pas de cynisme sans doute.

*

Elle, riait. Était positive. Pensait penser. Alors que voir le bon côté des choses ne fait pas une vie. S'assumer en tant que femme était une philosophie de vie. Elle, se fixait des objectifs de performances, comme de nouvel an. D'apparence, elle n'avait pas grand-chose de différent. Si, elle avait pour elle sa beauté. Une bien étrange beauté. Froide, et piquante. C'est ce qui conduira sans doute Romain à s'y tenter. Mais pour ce qui est du reste, comme tout(e) moderne qui se respecte, un parler lambda, un phrasé simple, une absence de flegme au profit d'une intempérance joyeuse. Curieux n'est-ce pas ? Froide, mais guillerette.

Les parents de Mélissa étaient d'origine danoise, le comble. Elle avait évolué au sein d'une famille luthérienne à laquelle son dogmatisme faisait honneur. Fruit, ou aboutissement, d'une éducation chrétienne, Mélissa ressentait souvent un besoin d'écart. Le droit chemin s'avère en effet parfois ennuyeux, voir trop souvent. Et multiplier les parties se présentait comme une excellente béquille face au trouble. En tout cas, elle n'imaginait pas ce soir là qu'elle tomberait sur un garçon comme Romain et savait encore moins qu'il était si différent.

 *

Il y avait beaucoup de personnes ce soir-là. Il buvait avec quelques-uns et regardait les autres gigoter sur des musiques selon lui "modernistes". Et c'est précisément à ce moment là qu'elle décida de quitter la masse, se dirigeant vers un canapé, essoufflée par le progrès. Le canapé était blanc et une place tout apprêtée pour Romain se dessinait à côté d'elle. Un deuxième verre à la main, il se mettait déjà en route vers la fois de plus. Il lui plu dès les premières secondes, mais elle se retenue de le lui faire comprendre. Une femme moderne et accomplie ne tombe pas dans les bras d'un homme aussi facilement. Il fallait bien joué pourtant, Romain ne perdait pas son temps. Enfin, d'habitude il ne le perdait pas. Mais il faut bien avouer que cette nuit là il n'y avait pas d'alternative possible. Voilà un moment qu'il n'en n'avait pas tant souhaité une. Mélissa parvenait à mêler froideur et sourire, retenue et gaieté, douceur et enthousiasme. Cela eut pour effet chez Romain un désir de possession, non de consommation. Il se demandait quelle serait leur discussion d'après-rapport. L'aggravation volontaire de sa féminité était insupportable intellectuellement, mais au contraire très séduisante corporellement. Comment parvenait-elle à produire cette image ? C'est finalement une phrase de Shakespeare qui les décolla tout deux du canapé. Devoir faire du sentiment pour finalement l'obtenir, et en plus par les mots d'un Anglais, quelle claque. Mais peu importait, la clef ne tarderai plus à fermer la porte.

L'après lendemain, il se revoyait déjà, mais cette fois-ci de jour et autour d'un café. Elle avait le don d'être moderne, et comme il faut. Mélidox pensait-il en la regardant. Cette dernière avait beau cumuler tout ce que détestait Romain, elle lui plaisait, et plus qu'il n'en fallait pour qu'il assure sa sécurité. Il en avait suffisamment lu et vécu pour savoir où se trouvait les frontières du danger. Les fameuses, très franchissables. Avec Romain, il n'y avait jamais de lendemain. Mélissa faisait donc exception au milieu de cette procédure quotidienne rodée. Le vrai routinier, lui seul est conscient du risque de la dérogation. Mais cet écart était motivé. Il allait pousser la séduction et la pousser à la séduction. Il allait l'avoir, créer la dépendance, la faire aimer. Il ne s'agissait plus d'une simple coucherie, d'une simple discute. Il avait joui et parler avec elle, et avait maintenant décidé d'innover. Mélissa avait cette étrange dualité physique, elle jouait corporellement et pensait avoir la main. Romain n'avait pas été aussi enthousiaste, excité, et focalisé à l'idée d'une cible depuis son dernier surlendemain. Mais dans le cas présent, le ressentiment l'empêcherait de faire la moindre erreur. Le spleen et la débauche laisserait place à l'expérience, et au jeu.

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