Silence.

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 Comment une âme égarée, esseulée et perdue peut distinguer le bien du mal ? Comment peut-elle agir de sa propre volonté si cette volonté elle-même est dictée par autrui ? Elle ne peut pas. Elle obéira, sans distinction, en comprenant simplement qu'il faut obtempérer. C'était en se pliant à ce principe que Sammy avait suivi Joey. C'était au nom de cette règle qu'il avait participé au plan occulte de son supérieur.

Mais tout cela avait été trop loin. Les couloirs, autrefois empreints de vie et de joie, émanaient à présent cette aura lugubre, sombre et témoin de tant de souffrances. Ceux du Music Department étaient de loin les plus effrayants : le silence y était étouffant, les instruments étaient recouverts de poussière, puisque leurs propriétaires... n'existaient plus. On y entendait il y a quelques temps les mélodies mélancoliques que Johnny jouait à l'orgue, qui résonnaient avec le violon sage de Jack plus bas, vite rejoint par la joie de Sammy au banjo, et parfois même par les notes de piano envoûtantes de Norman. Or, le compositeur lui-même n'osait plus toucher son instrument. De toutes façons, même s'il le faisait, personne ne lui répondrait.

La salle de l'orgue avait été fermée après le meurtre du triste travailleur.

Personne n'osait plus s'approcher des égouts depuis la disparition du parolier.

Et Samuel lui-même avait détruit le piano qu'utilisait parfois le projectionniste. Histoire de ne plus y penser...

Il avait fait une grave erreur en acceptant et suivant les idées folles de Joey. Et la culpabilité l'accablait à présent. A cause de ce maudit jour où il avait obéi sans réfléchir, persuadé d'être dans le vrai, d'être un élu. Un incompris, un méprisé, un martyr. Sa haine envers le monde avait condamné les gens qu'il aimait le plus au monde...

C'était une drôle de soirée. Il avait travaillé sans relâche, avait les nerfs à vif, quand son patron avait frappé à la porte de son bureau. Le regard cerné mais joyeux de celui-ci lui avait fait comprendre que quelque chose se préparait.

"Alice reprend ses esprits !", s'était-il exclamé. C'était inattendu, et cela prouvait tant de choses... Cela prouvait qu'ils avaient raison. Sammy avait souri, fatigué. Sans rien répliquer. Ce fut ce qui alarma le grand homme à la moustache : "Quelque chose bloque, Sammy ?", avait-il demandé en posant sa main gantée sur l'épaule du blond assis à son bureau. "Tu sais, si l'inspiration te manque, tu devrais essayer de faire un tour en ville... Ca te redonnerait l'envie, tu ne penses pas ?", proposa avec douceur Drew. Ce monstre avait, quand il le voulait, une voix d'ange, et mimait avec talent la compassion. "Non, ça n'est pas un problème d'inspiration, Joey", soupira le compositeur en remontant ses lunettes. Il se redressa, et, prononça ces mots qui causèrent la mort de son collègue, et meilleur ami : "C'est Jack, il travaille terriblement lentement... Et m'emmerde avec tout ce que je fais. Trop sombre, selon lui." Un sourire se dessina sur le visage de Joey Drew. "Je sais ce que je fais, bon sang.", finit-il, la colère voilant son regard.

Mensonge. Sammy ne savait absolument pas ce qu'il faisait. Il ne savait pas pourquoi il avait dû attirer Jack, qui travaillait encore, dans une pièce close. Il ne savait pas plus pourquoi il avait dû le bloquer au sol, en attendant l'arrivée de Joey. Il n'avait même pas idée de pourquoi il portait ce masque. Ce ne fut qu'au moment où il dût porter le corps sans vie du parolier qu'il comprit. Il avait serré les dents, lâché une larme au-dessous de son masque, et avait continué de tirer le cadavre dans les escaliers. Avant de le jeter dans les égouts emplis d'encre, et de fondre en larmes. "Qu'est-ce que j'ai fait...", s'était-il demandé. Puis, il avait longtemps parlé seul, expliquant à l'âme du défunt ses pensées, s'excusant mille fois, et lui promettant qu'un jour, ils seraient réunis à nouveau. Encore des mensonges, puisque jamais le compositeur n'aurait le courage de lui parler à nouveau.

Silence. [FR]Where stories live. Discover now