Mercredi
Le bunker
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Le premier jour au bunker il pleuvait des cordes, et pas que dans ma tête. C'était la gadoue, les marais. Mes bottes en caoutchouc jaune aurait bien fait rire M mais elles auraient eu une considérable utilité si je les avais porté. Puis même si elle se moque de moi,la voir sourire c'est quand même cool.
-Grouille on est déjà tout trempé !
-J'arrive mais en même temps c'est quoi cette idée foireuse de partir faire les aventuriers dans les bois en pleine mousson ?
M se retourne vivement vers moi et pointe son index en direction de mon visage
-Premièrement l'idée même d'aventure implique qu'il y ait parfois des complications sinon ce serait une croisière du troisième âge avec ta grand mère Josiane qui raconte les mêmes anecdotes depuis 1958. Deuxièmement, la mousson en France ça n'existe pas. Et troisièmement si t'es pas content et que tu te sens pas équipé, j'ai vu ta paire de bottes jaune poussin dans ton placard il y a trois jours alors tu peux t'en prendre qu'à toi même d'avoir favorisé le style à la praticité. Ok ?
-Euh ok.
-Bien, maintenant on avance. On est presque arrivé.
Après ce qui me semble une éternité nous arrivons enfin à l'orée d'une clairière (qui ressemble désormais bien plus à une piscine mal entretenue). M ralentit et me montre du doigt un tronc d'arbre couvert de planches elles mêmes couvertes de mousse. En y regardant de plus près, on dirait presque une échelle. Lorsque M entreprend d'entamer l'ascension je comprends bien que je ne vais pas y échapper et qu'il s'agit bien de ce qu'on pourrait appeler une échelle. Alors grimpe, grimpe, grimpe mais pour aller où ?
-May, c'est quoi ton déli...
Je ne termine pas ma phrase, je suis arrivé au sommet. M écarte les bras, un immense sourire aux lèvres et me fixe de ses grands yeux.
-Bienvenue au bunker de May !
-Un bunker ça ?
Rapide tour d'horizon. C'est une cabane dans les arbres.
-Dis moi, un bunker c'est pas sensé être sous terre ?
Soupir bruyant.
-Raph, tu pensais vraiment que j'allais creuser un trou dans le sol, couler du béton et pourquoi pas construire de mes mains une porte en titane dans le seul but de sauver nos petits culs d'une éventuelle fin du monde ?
-Ben si, j'avoue.
-Dis toi que mon bunker protège au moins des cons.
Je pose mes mains sur les murs de la cabane et lui souris.
-Et encore c'est pas dit !
-Tu crains ! Regarde autour de toi ! Glacière, pack d'eau, couvertures, coussins, petite table... C'est comme si j'avais construit une maison !
-Et tu comptes y séjourner longtemps ? Parce que, sans vouloir t'offenser, mes visites se feront assez rares en période de MOUSSON.
Elle me jette un coussin à la figure.
-Viens t'asseoir, s'il te plaît !
May me tend une bouteille de bière que je décapsule avec mon briquet avant de sortir une cigarette de mon paquet humide de notre longue randonnée. Rien de tel qu'une petite envolée hors de l'enceinte des murs du lycée avec une bière, une cigarette et M. Rien qui ne puisse plus me faire sourire. Je la regarde. Petite fée dans une cabane construite avec de vieilles planches. Elle met tout son cœur dans les plus petits de ses mouvements et elle les exécute tous avec une grâce presque agaçante. Regonfler les coussins, éponger la petite flaque qui se forme sur le sol à un endroit où, visiblement,le toit n'est pas étanche, dépoussiérer la petite table d'appoint qu'elle a du tellement galérer à transporter jusqu'ici.
-M, pourquoi tu ne m'as pas demandé de l'aide pour le bunker ?
Elle relève la tête, éponge à la main et se fige un instant.
-Je voulais réussir à faire un truc toute seule, tu vois.
-T'avais besoin de te prouver un truc ?
-Je sais pas. Je voulais un lieu à moi. Ou je peux m'isoler et disparaître un peu, tu comprends ?
-Ouais, je comprends
-Si je le faisais pas moi ça perdait tout son sens. Puis je veux que personne ne connaisse son existence.
Elle reprend ses activités avant d'ajouter :
-Puis je maintiens qu'en cas d'invasion zombies ou de guerre civile on sera pas trop mal ici.
-Ouais, on sera pas trop mal !
-Tu te moques encore Raph ?
-Non, je suis vraiment sérieux. Merci de partager ta maison avec moi. Tu es vraiment impressionnante, je n'aurais pas pu faire un quart de ce que tu as fait.
-Je n'aurais pas pu en faire un quart si tu n'avais pas été là.
-J'ai rien fait du tout.
-Toi et ta prison dans ta tête ça m'a fait réfléchir. Moi ma prison c'est les gens. Ici c'est ma zone libre, comme toi avec la peinture. Ici je peux m'échapper. C'est comme s'il existait enfin un lieu sur terre où je puisse être juste May.
-Juste May.
-Oui, juste May. Pourquoi ?
-Ça me paraît paradoxal ces deux mots dans la même phrase.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-T'es tellement un grand tout M. Tu pourras jamais être « juste May », t'es tellement plus que tout ce que tu penses et que tout ce que les gens voient. Déjà ton prénom c'est presque une saison en un seul mot. Une saison qui se répète chaque année depuis que la vie existe. Tu pourras jamais exprimer ça dans une cabane. C'est un truc que tu irradies à chaque fois que tu respires. Tu peux même pas le contrôler.
Elle se laisse tomber à côté de moi avant de prendre la cigarette qui se trouve entre mes lèvres et d'aspirer une grosse bouffée de fumée. Elle la recrache lentement en relevant la tête. Serpentins et chimères valsent langoureusement parmi les douces effluves de son parfum. Son regard se plante dans le mien. Il n'existe plus que le bruissement des feuilles, le clapotis des gouttes de pluie et May. Le reste est désespérément superflu.
Des jours comme ça j'en voudrais encore à la pelle. A la truelle. Au trente cinq tonnes. J'en voudrais certains de pluie, d'autres de soleil, des venteux aussi, des où on se les gèle, d'autres qui nous terrassent par leur chaleur. J'en voudrais des infiniment longs, des infiniment courts, d'autres encore où le temps n'existe plus. Je voudrais des jours comme celui-là encore et encore. Toujours en fait. Parce que quand elle est là, en moi, c'est toujours comme si il y avait une putain d'aurore boréale dont la perfection pique les yeux.
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VRAC
Non-Fiction"Cette propension à l'auto sabotage. Et May qui fuit et court sur un fil comme une funambule. May qui crie, May qui pleure, May qui... Tout ça. May qui tombe, remonte, suspense insoutenable. Absence de trampoline. Dernière représentation après le sp...