Soirée d'enfer, extrait

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(...)
Nous finissons de déjeuner. Matt rentre chez lui. Je prends une douche rapide et choisis un costume gris clair. Face à un tel ponte, il faut la jouer classe et discrète. Je change ma boucle d'oreille, opte pour un simple brillant. Je me coiffe, me parfume. À onze heures, je suis fin prêt. Il ne faut pas arriver trop tôt. Je regarde mes messages, Willy m'a écrit pour me demander à quelle heure je suis dispo. Je lui réponds que je le préviendrai lorsque je serai libre, c'est plus simple. Matt serait capable de revenir. Je sors à 11 heures 15 et hèle le premier taxi qui passe. Je lui donne l'adresse du restaurant choisi par Barnes, puis me laisse conduire. Le trafic n'est pas très fluide, je commence à regarder l'heure avec angoisse. Heureusement que je suis parti en avance ! Je sors du taxi à midi tapantes et me précipite dans le restaurant. Barnes n'apprécierait pas la moindre minute de retard.
Mon client m'attend à une table un peu isolée. L'endroit qu'il a choisi est un restaurant italien chic. Les tables sont nappées de blanc, et la salle oscille entre cette couleur et des bas-reliefs dorés. Aux murs, quelques tableaux représentent ce que je présume être l'Italie. Les serveuses sont de ravissantes jeunes femmes aux longs cheveux bruns et à la peau mate. Leurs corps sont un peu épais, lourds, enviables. Elles ont une consistance réelle, perchées sur leurs talons aiguilles, qui leur donne un côté très sexy. Rien à voir avec les mannequins anorexiques stupides qui zonent dans les endroits où je traîne bien souvent.
Robert Barnes ne semble pas les voir. Il me juge d'un regard sévère, longtemps, puis m'invite à m'asseoir à sa table d'un geste. Je le salue comme un parrain de la mafia. Barnes fait un geste de la main :
« Cessons ces cérémonies stupides, jeune homme. Je ne vous imaginais pas comme ça, mais je suppose que cela fera l'affaire.
– À quoi vous attendiez-vous ?
– Je pensais que vous seriez plus âgé et plus costaud. Pourtant, je n'étais pas sans savoir votre... particularisme.
– Vous vous attendiez à un Jo-Rambo plus viril, m'amusé-je. Si ça peut vous rassurer, je n'en demeure pas moins efficace. Les petits et agiles sont parfois nécessaires.
– Je ne remettais pas vos capacités en question, monsieur Chérel. Votre réputation vous précède. Je vous ai d'ailleurs choisi à cause de celle-ci. Il paraît que vous n'avez pas votre pareil pour l'infiltration.
– Je décèle un brin de scepticisme dans votre voix.
– Je vous trouve très exubérant. »
Une serveuse nous demande ce que nous souhaitons boire pour l'apéritif, puis nous présente le menu du jour. Robert Barnes décide pour deux, jusqu'au dessert. Je n'aime pas ces habitudes de vieux chef, mais je ferme ma gueule. Nous allons pouvoir aborder le cœur de l'affaire. Dès que la serveuse se retire, Barnes m'interroge :
« Que savez-vous à mon sujet ?
– Vous dirigez l'actuelle société Money&Digital. Plutôt prospère. L'heureuse tendance ne devrait pas s'essouffler, si votre projet de disparition de petite monnaie au profit du tout digital aboutit. J'ai cru comprendre que certains gouvernements sont prêts à vous suivre aveuglément. Les investisseurs leur emboîteront le pas.
– Ah. Vous vous intéressez à l'économie, à ce que je vois. C'est bien. Votre résumé est tout à fait exact, quoique... trop résumé. Ou, plutôt, il exclut totalement la dimension privée de mon entreprise. Or, c'est celle-ci qui vous concerne.
– Oh. Je pensais que j'aurais plutôt affaire à vos concurrents, ou à un ancien employé, par exemple. »
La serveuse nous apporte nos boissons, ainsi que quelques amuse-gueules. Je bois, mais je ne mange pas. Barnes fait de même. Les gourmandises sont faites pour les hommes qui ont une très grande confiance en leur interlocuteur ou qui ne savent pas se contrôler. Or, nous sommes en plein rendez-vous professionnel.
« Mon affaire est une entreprise sérieuse. Vous l'avez dit, Money&Digital a pour ambition de développer la monnaie du futur. Elle ne peut s'encombrer de... guignols, ni se laisser salir par... hum, comment dire ? »
J'ignore complètement de quoi il veut parler. Je le laisse chercher ses mots.
« Disons que notre réputation doit rester irréprochable. Vous saisissez ? »
Barnes fait un signe à la serveuse, afin qu'elle nous débarrasse et enchaîne avec la suite. Une fois les entrées servies, je réponds :
« Vous devez être infaillible. Je le comprends aisément, surtout dans un domaine aussi exigeant que la grande finance.
– Exact. Que savez-vous de ma famille, monsieur Chérel ?
– Pas grand-chose. Il me semble que vous avez un fils, qui a des parts dans Money&Digital. Est-ce que je me trompe ?
– Phil. Un homme très sérieux, si vous voulez mon avis. Il m'a toujours obéi au doigt et à l'œil. Sa vie se passe dans mon ombre... Il est sage, respectueux, énervant tant il s'écrase devant moi. Nous n'avons jamais eu le moindre mot ! Vous imaginez ? »
Je me contente d'acquiescer. Je sens le « mais » venir se greffer à ce portrait élogieux.
« J'ai nommé Phil directeur du département américain il y a deux ans. Je n'ai pas à me plaindre de lui, il est parfait à ce poste. Je sais qu'il me succèdera du mieux qu'il le peut. Un brave petit bureaucrate...
– S'il est si parfait, qui vous pose problème ?
– Son fils, monsieur Chérel. Mon petit-fils, Archie Barnes-Reyes. Un gamin abominable, qui a été trop gâté par sa mère. Un fruit pourri, si vous voulez mon avis. Ses derniers agissements pourraient nous faire du tort... »
Barnes a fini son entrée. Il fait un signe pour qu'on nous serve le plat de résistance. Je m'empresse de finir avant qu'on me retire mon assiette. Fichu vieux !
« Ses actes sont si compromettants que cela ? m'étonné-je dès que la serveuse s'éloigne.
– Vous n'avez pas idée... Enfin, vous n'en avez pas encore l'idée, pour être exact. Mais vous serez bien vite au courant.
– Si je comprends bien, vous souhaiteriez que je m'infiltre auprès de votre petit-fils ?
– C'est exact. Et que vous mettiez un terme à ses agissements ».
Je réfléchis, tandis que la serveuse nous dépose deux assiettes fumantes devant chacun de nous. S'il faut assassiner Archie Barnes-Reyes, pourquoi s'embêter à s'infiltrer ? Un simple tir en mode sniper devrait suffire.
« Mon petit-fils a laissé des preuves de ses... folies, dirons-nous. Je veux que vous les trouviez et que vous les détruisiez. Détruisez tout ce qui peut nuire à notre réputation.
– Savez-vous où se trouvent ces preuves ?
– Non, ce sera à vous de le découvrir, en gagnant la confiance d'Archie. Ce sera facile, il est d'un naturel sociable. Vous êtes tout à fait le type de personne avec lequel il souhaitera se lier d'amitié.
– Pas... plus ?
– Je ne le crois pas de ce genre-là, répond mon client assez sèchement.
– Avez-vous déjà choisi la méthode d'infiltration, monsieur Barnes ?
– Oui. Archie donne une party samedi soir. Vous vous mêlerez aux invités. L'occasion est parfaite, n'est-ce pas ? »
Je ne peux qu'acquiescer. Effectivement, qui pourrait rêver mieux ? Décidément, Robert Barnes est un maniaque de la prévision. Il n'y a pas la moindre place au hasard dans son business.
« Vous trouverez les détails dans une enveloppe que j'ai laissée au pick up station de Penn Station. Celui devant le grand café, vous connaissez ?
– De réputation.
– Voici le code d'accès à mon coffre pick up, fait-il en glissant un papier vers moi sur la table. Pas mal, ces nouvelles consignes ! Vous y trouverez également une avance, représentant 25 % de la somme totale que je vous verserai. »
J'ai envie de protester : pour ce type de contrat, c'est à moi de fixer mon prix. Je me retiens cependant. Mieux vaut voir ce que m'a laissé Barnes avant de me plaindre. Consciencieux comme il est, la somme versée sera très probablement correcte.
« Vous recevrez les 75 % restants une fois Archie expédié dans l'autre monde, avec ses... immondices.
– Des immondices ? Que voulez-vous dire ?
– Vous le saurez bien assez tôt ».
Robert Barnes fait un signe à la serveuse. Il ne nous reste plus que les cafés à siroter, mon client ayant renoncé pour nous deux au dessert. Je n'ai pas fini mon assiette. Je repose mes couverts sur mon repas, comme si je n'en voulais plus. Ce gaspillage m'agace. Je vais devoir manger un truc en sortant d'ici, ce qui renforce ma mauvaise humeur.
(...)

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 23, 2020 ⏰

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