Le festival

Raging Bull - 2040

- Scorsese c'est de la merde je te dis !
Elle savait taper là ou ça fait mal. Scorsese c'était tout pour Alex et elle le savait. Scorsese était son réalisateur culte depuis qu'il avait quinze ans. Il resta calme et attrapa sa serviette pour essuyer ses lèvres. Il la reposa avec douceur et posa son regard sur sa petite frangine de vingt ans qui pensait tout savoir.
- Argumente vas-y.... pourquoi tu dis ça ?
- Dans Raging Bull le personnage de Vicky est censée avoir 15 ans quand Jake la Motta la rencontre. Quinze ans bordel ! Alors que l'actrice en a 35 merde !
- Elle n'a pas 35 ans n'exagère pas, elle est plus âgée ok mais elle n'a pas 35 ans et...
- .... Et c'est la même actrice tout le film ! C'est la même actrice qui joue le personnage de Vicky quand elle à 40 ans, ce n'est pas crédible ! Ton Scorsese il est surestimé c'est tout.
- Mais à l'époque c'est comme ça qu'on faisait des films merde ! Tu crois que Scorsese pouvait se payer un budget avec plusieurs actrices en 1980 ? Ou encore des effets spéciaux ? Du maquillage pour vieillir ses personnages ?
- Scorsese il a eu la palme d'or en 1976, il pouvait exiger tout ce qu'il voulait quand il préparait Raging Bull...
- L'exigence des spectateurs n'était pas la même. Si Vickie fait plus âgé ce n'est pas important, aujourd'hui encore certaines actrices font beaucoup plus vieilles que leur âge alors qu'elles sont mineures, et ça dérange plus personne. Ça n'enlève rien au fait que Raging Bull est un chef d'œuvre que tu le veuilles ou non. Ce film parle du rêve américain, de l'immigration, de la mafia, du milieu sportif, de la déchéance d'une star, c'est l'étude d'une personnalité déviante qui descend aux enfers, c'est....
- ... Mais qu'est ce que tu racontes ? Coupa la jeune fille. L'image de la femme est désastreuse dans ce navet....
- ... L'image de.... le statut de la femme n'était pas le même à l'époque ! Tous les films sont condamnables si tu invoques le statut des femmes dans le cinéma ! Passe-moi le pain !
Caroline attrapa la baguette et la lança sur le frangin tout en répondant :
- Maïs pourquoi véhiculer ce genre de trucs dans un film ? La femme est soumise, elle est censée avoir la même tronche de quinze à quarante ans, elle ne moufte pas quand son mari lui fout une baigne... Si certains soi-disant « classiques » du cinéma n'avait pas véhiculé des conneries pareilles, on n'aurait peut-être pas eu besoin de ton putain de festival de la séduction aujourd'hui !
Alexis se figea en plein machage de tartine au pâté de foi. Caroline surenchérit :
- C'est un cinéma corrompu, sans âme et pervertit, dit-elle catégoriquement.
- Je ne vois pas ce que mon boulot au XXième festival de la séduction vient foutre dans notre débat.
- Ça n'a rien à voir c'est vrai... mais... il y a un lien tout de même.... Il y a un lien avec le monde dans lequel ce film est né, le statut des femmes au début du 21ème siècle et ton boulot de merde.
Alexis resta interdit quelques secondes, le pâté de foie dans la bouche, mâchant à la vitesse d'un lémurien sous LSD, observant sa sœur triomphante. Il ne comprenait pas.
- Tu mélange tout petite sœur...
Caroline fit disparaître sa tranche de jambon roulé dans du fromage blanc dans sa bouche en quelques secondes. Un silence tomba le temps que les deux avalent leur pitance. La gamine reprit :
- Comprend moi bien... je ne remet pas en cause le festival en lui même... il était utile de créer ce festival, ça avait du du sens de créer ce truc il y a vingt piges. mais ce qu'il est devenu.... c'est n'importe quoi.
- Pourquoi tu dis ça ? Il me fait vivre ce festival ! Je gagne ma vie la moitié de l'année grâce à ce festival....
- Voilà ! Tu viens de le dire ! Ce festival c'est de la tune, du business et rien d'autre. Et l'autre moitié de l'année tu bafoues les idées de ce même festival en.... (elle baissa les yeux).
- Oui ? Tout en faisant quoi ?
- Je n'ai pas envie de te juger... tu fais ce que tu veux.
- Pourquoi on en vient à ce que je fais une fois que j'ai de assez d'argent pour faire ce que je veux, alors qu'on parlait de Scorsese au début ? Tu peux me le dire ?
La jeune fille se leva mettant fin au suspense d'une réponse qu'elle ne voulait pas révéler. Alexis était suspendu à ce qu'elle allait dire.
- Pour qui tu me prends soudainement ? Juste parce que je travaille au festival de la séduction pour la troisième fois.
- Je ne te juge pas je t'ai dit... Je sais quel genre d'homme est mon grand frère. Je sais de quel bois il est fait, de quelle nationalité il est....
- Je suis un alcoolique...
- Ça fait de toi un citoyen du monde c'est ça ? Arrête avec tes références cinéma tu fais chier tout le monde avec ça.
Perdu dans ses pensées Alexis ne s'étonnait même plus que sa sœur devine ce qu'il pensait avant même qu'il ne le dise. Elle était devenue une sacré cinéphile, une sacré jolie fille et une sacré casse burnes pensait-il. Cependant il ne parvenait pas à lui en vouloir. Quelques instants de silence plus tard la gamine se leva en regardant son frère, un rictus sur les lèvres. Elle allait sortir de la cuisine, laissant Alexis seul avec la vaisselle à faire lorsqu'elle tourna les talons.
- Et puis j'ai vu « Les Affranchis » également.... c'était à vomir.
Il se retourna juste à temps pour voir la jeune fille qui partait en courant dans le couloir. Sa tête bourdonnait.