« AH ! »
Aliénor se retourna vivement : c'était un chat qui s'était approché d'elle. Bon dieu... Fichue bestiole ! Il s'était frotté à elle contre ses pieds. On aurait dit que quelqu'un avait cherché à les lui chatouiller avec un plumeau ! L'étudiante détestait qu'on la prenne par surprise ; quand elle allait faire les courses, elle craignait toujours de lever le bras pour attraper quelque chose en hauteur, de peur qu'un client un peu trop malin lui titille l'aisselle. Quant à marcher pieds nus dans l'herbe : hors de question, elle se tordait de rire.
Et elle détestait les chats depuis qu'elle avait été traumatisée par Church mort-vivant dans la première mouture de Simetierre.
Aliénor finissait de ranger ses dernières affaires quand l'homme qui l'avait accueillie frappa à la porte de sa chambre. Elle fut un peu surprise de le voir souriant, doux, aimable : c'est un virage à plus de 180° qu'il avait effectué ! Mais tant mieux, elle savait qu'elle ne passerait pas la soirée avec un mec qui aurait pu être son grand-père et qui tirait une tronche d'enterrement.
« - Nous allons pouvoir passer à table, si vous le voulez bien. »
Elle le suivit en silence dans un dédale de couloirs jusqu'à la salle à manger. Sur la table, il n'y avait que deux couverts. Contrairement à ce qu'elle s'était imaginé, c'était simple : pas une pile interminable d'assiettes, et encore moins une armée de couteaux, de fourchettes et de cuillers. Non : il y avait un bol pour la soupe froide et une assiette plate. Son hôte lui pria de s'asseoir où elle le désirait, et tandis qu'elle agissait, elle lui posa une question :
« -Nous ne sommes que deux à manger ?
- Evidemment, c'te question ! Fit l'autre, un peu surpris.
- C'est que, en arrivant, j'ai vu quelqu'un, au dernier étage, commenta timidement Aliénor.
- Ah ! Oui, tout le monde se fait avoir : c'est une silhouette que j'ai dégotée dans un bric-à-brac. Une silhouette de Paul McCartney. Voyez-vous, j'adore les Beatles, hé hé.
- C'est vrai que c'est assez troublant... »
Le repas se passa sans encombre ; ils discutèrent de tout et de rien, l'hôte ne cherchant visiblement pas à questionner Aliénor sur ses études, ses connaissances littéraires, et encore moins sur son mémoire. Mais au moment du dessert, il se fit encore plus bavard.
« - Bon... Il est temps de parler de votre présence ici, quand même. Nous commencerons demain matin, dès que vous serez prête, hein, à étoffer un peu vos connaissances en matière de culture sociale américaine. Pour ce premier soir, je vais vous laisser tranquille. Je me suis levé très tôt ce matin pour préparer votre venue, et je commence à fatiguer. Aussi, après le dessert, je vous laisserai rejoindre votre chambre. La salle de bain se trouve juste en face.
- Oh, d'accord... » Puis, après une courte pause : « J'ai deux autres questions, monsieur.
- Lesquelles?
- Comment vous appelez-vous ? »
L'homme la regarda comme si c'était la première fois qu'il la voyait, puis il éclata de rire.
« - Mais quel mal-élevé je fais ! Je ne me suis pas présenté, pardon ! C'est vrai que vous me connaissez sous mon pseudo... Eh bien, chère Aliénor, je m'appelle Erwan Featherstone.
- Il n'y a pas de mal, monsieur.
- Appelez-moi Erwan, enfin ! Je vous appelle bien par votre prénom, je ne vous donne pas du « mademoiselle » à tout bout de champ, pas vrai ? »
- Oui, pardon.
- Et arrêtez de vous excuser. Quelle est votre deuxième question ?
- Oui, pard... Euh... C'est par rapport à la petite sculpture, dans ma chambre... Un pied qui se fait chatouiller ?
- Ha ha ! J'aime beaucoup les bizarreries de ce monde, et celle-ci en est une particulièrement drôle, pas vrai ? (Aliénor la jugeait plus « bizarre » que « drôle », mais passons) Oui, ça a de quoi surprendre. Mais ça n'a rien de vilain, pas vrai ? »
Le repas toucha à sa fin, et comme convenu Aliénor alla s'enfermer dans sa chambre. Son hôte était un drôle de bonhomme, très étrange... Et concernant la silhouette à la fenêtre, elle aurait juré l'avoir vu bouger. Ce que ne fait pas une silhouette de carton ou que sais-je. Et la sculpture... Pourquoi l'avoir mise là, plutôt qu'ailleurs, comme dans un bureau, par exemple. Non pas qu'elle mettait à l'aise... Quoique. Si, elle mettait mal à l'aise. On a pas idée de collectionner ce genre de chose. Il n'y a que les gens bizarres qui font ça, pas vrai ? Eh mer... credi, voilà qu'elle commençait à avoir les même tics de langage qu'Erwan Featherstone, à mettre des « pas vrai » partout.
L'étudiante sortit un roman de son sac à dos, un exemplaire tout abîmé du Bazaar, de Stephen King, et corna des pages et souligna des phrases au fil de sa lecture. Ca lui servirait sans doute pour son mémoire. Elle entendit au loin une pendule sonner onze coups. Aliénor se promit d'arrêter la veillée, enleva ses lunettes et les posa sur le guéridon, à côté de la clé de l'armoire.
Même la lumière éteinte, la chambre n'était pas dans le noir complet, non. Les rideaux n'étaient pas bien épais et il n'y avait pas de volets ; de ce fait la lumière réfléchie par la Lune inondait la pièce. D'un côté, ça rassurait Aliénor. Elle n'aimait pas le noir total, ça l'angoissait. De l'autre côté, elle aurait aimé ne pas voir les portes du placard s'ouvrir sous ses yeux dans un doux grincement.
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Hantise
HorrorAliénor est étudiante en 3ème année de licence de lettres. Pour son mémoire, consacré à Lovecraft et Stephen King, elle a fait appel à un auteur vivant dans un manoir du XIXème siècle qui a accepté de l'héberger, le temps qu'elle fasse ses recherche...